Expo : Les céramiques de Wifredo Lam - Musée national des arts asiatiques Guimet - Jusqu'au 23 janvier 2023



Quinze céramiques de l’artiste sino-cubain Wifredo Lam (1902-1982) s’installent le temps d’un évènement temporaire au cœur des collections permanentes chinoises du Musée national des arts asiatiques Guimet. La mise en scène, orchestré par le commissaire d’exposition Nicolas Trembley, initie un dialogue entre les pièces modernes et les porcelaines Qing. L’exposition rendue possible dans le cadre d’Asie Maintenant 2022 grâce au soutien de SDO Wifredo Lam, l’organisme qui gère la succession de l’artiste, met en scène une sélection de pièces représentatives d’une discipline à laquelle Wifredo Lam consacre la majeure partie de la fin de sa carrière. Le corpus de près de quatre-cents poteries et céramiques, produit en majorité à Albissola en Italie, est rarement montré en dehors du Musée de la Céramique du village ligurien où un certain nombre d’œuvres est exposé dès août 1975. Cette année marque une véritable prise de conscience de la part de Wifredo Lam. Il embrasse les techniques de la terre cuite et des céramiques dans lesquelles il trouve un nouveau souffle, une liberté inédite. Sa production en collaboration avec le céramiste Giovanni Poggi et l’atelier Le Ceramiche San Giorgio illustre le potentiel de la discipline, l’inventivité plastique. Wifredo Lam s’intéresse à l’incertitude de résultat. La cuisson produit des craquelures imprévues, altère les glaçages, modifie les couleurs. Il travaille ses décors selon la technique gravée du sgraffito, superpose les émaux au pistolet compresseur, intègre des morceaux de verre. Son travail par séries révèle des mondes imaginaires empreints d’une certaine mystique. La stylisation des figures, l’exubérance de la forme engendre un foisonnement de motifs, des personnages fantasmagoriques, une faune et une flore débordante. 











La peinture expressive de Wifredo Lam s’empare avec force des enjeux sociologiques et politiques. Il cherche à représenter les drames humains, ceux des peuples opprimés, l’héritage de l’esclavage, de la colonisation. D’une famille aux origines variées, son père est d’origine chinoise, sa mère métisse, il hérite d’un ancrage multiculturel. A travers ses œuvres, il associe le modernisme occidental, Cubisme, Surréalisme, le symbolisme africain, les influences caribéennes. Wifredo Lam invente un vocabulaire plastique très personnel au gré des médiums peintures, dessins, sculptures, fresques murales ainsi qu’un important corpus graphique, gravures, lithographies illustrant les ouvrages de ses amis écrivains et poètes. Céramiques et terres cuites ne lui viennent que tardivement.

Wifredo Lam né en 1902 à Saguce La Grande, sur l’île de Cuba. Très tôt, selon les croyances multiples de sa famille, il fréquente un monde habité par les esprits. Au culte des ancêtres pratiqué par son père chinois, Enrique Lam Yam, se mêle le catholicisme cubain de sa mère Ana Serafina Castella, descendante d’Espagnols et d’Africains du Congo. Sa marraine Antonica Wilson dite Mantonica l’initié à la Santerìa, culte syncrétique cubain, associant des éléments religieux yoruba et le catholicisme populaire. L’invisible est omniprésent, les mystères nombreux.

Après des études de droit, Wifredo Lam quitte l’île en 1923 pour l’Espagne. A Madrid, il intègre en 1924, la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, institution dirigée par Fernando Àlvarez de Sotomayor, directeur du musée du Prado, un temps maître de Salvator Dali. La formation académique lui paraît insatisfaisante. Wifredo Lam se tourne vers un enseignement plus avant-garde et rejoint en 1925 l’Escuela Libre de Paisaje fondée par l’anticonformiste Julio Moisés. Sa première exposition personnelle se déroule en 1928. 

Au début de la Guerre civile espagnole (1936-1939) Wifredo Lam s’engage auprès des Républicains. Il est contraint de se réfugier en France en 1937. A Paris en 1938, il fait la connaissance de Pablo Picasso qui l’introduit auprès de l’avant-garde parisienne, Paul Eluard, Michel Leiris, Tristan Tzara, Fernand Léger, Juan Miro et des marchands d’art Daniel Henry Kahnweiler et Pierre Loeb. L’écrivain Benjamin Péret le présente à André Breton et des Surréalistes qui revendique l’automatisme de la pensée. Il côtoie les groupes Imaginistes, Phases, CoBrA. 









Wifredo Lam se lie avec Asger Jorn, artiste danois co-fondateur du groupe CoBrA lequel manifeste depuis longtemps un intérêt particulier pour la céramique. Ce dernier mène son apprentissage à Silkeborg, à Sorring. En 1950, il se forme avec les potiers d’Albissola, ville balnéaire de la côte ligure en Italie, réputée depuis le XVIème siècle pour ces céramiques traditionnelles. Son savoir-faire artisanal est remis en lumière dans les années 1930 par les artistes du mouvement futuriste. Sous l’influence de Jorn, Albissola devient un lieu de rencontre, carrefour international des intellectuels et des écrivains, des personnalités du monde des arts. Ce microcosme créatif réunit Lucio Fontana, Sergio Dangelo, Roberto Matta, Karel Appel, Corneille, Enrico Baj, Tullio Mazzotti, Piero Manzoni, Édouard Jaguer, Roberto Crippa, Guy Debord, Agenore Fabbri. En 1954, Asger Jorn organise un rendez-vous culturel d’envergure « The International Ceramic Meeting » lequel aura une véritable influence sur la pratique de la céramique, insufflant un renouveau de la discipline. 

Wifredo Lam, retourné à Cuba en 1941 en raison de la Seconde Guerre Mondiale manque de quelques jours l’événement. Il rejoint Albissola où il séjourne souvent à partir de 1957. Il achète même une maison-atelier en 1961. L’émulation artistique des créateurs internationaux engendre une scène locale très dynamique. En parallèle, au cours des années 1960, Wifredo Lam réalise de nombreuses gravures afin d’illustrer les recueils de ses amis poètes et écrivains, Aimé Césaire, André Breton, René Char, Edouard Glissant, Michel Leiris, Mandiargues, Magloire Saint Aude, Tristan Tzara. 

En 1975, Wifredo Lam trouve un nouveau souffle dans la technique de la céramique. Il collabore avec le céramiste Giovanni Poggi et l’atelier Le Ceramiche San Giorgio. Victime d’un accident vasculaire cérébral en août 1978, partiellement paralysé, l’artiste désormais se déplace en fauteuil roulant. Pourtant, il produit dessins, gravures, céramiques ou sculptures. Il passe ses dernières années entre Cuba et Albissola. Wifredo Lam meurt dans son appartement parisien du boulevard Beauséjour le 11 septembre 1982. Des funérailles nationales sont organisées à la Havane le 8 décembre 1982. Le Centre d’art contemporain Wifredo Lam lui rend hommage et perpétue son héritage. 

Céramiques de Wifredo Lam
Jusqu’au 23 janvier 2023

6 place d’Iéna - Paris 16
Tél : 01 56 52 54 33
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.