Expo : Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir - Musée de Montmartre - Jusqu'au 19 février 2023

Buste de femme- Détail 1907 - (c) Succession Picasso 2022


L’exposition « Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir » inaugure l’année picassienne, « Célébration Picasso (1973-2023) ». De nombreux événements commémoratifs seront organisés en Europe, aux Etats-Unis et au Canada à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’artiste.  C’est la toute première fois qu’une exposition est consacrée à Fernande Olivier (1881-1966), personnalité étonnante du Bateau-Lavoir et de la bohème montmartroise. Compagne de Picasso de 1904 à 1912, modèle, femme de lettres au caractère bien trempé, elle sera son égale, sa muse. Son visage hante les œuvres de toute l’avant-garde 1900. L’histoire de l’art écrite par les hommes, Fernande Olivier a longtemps été réduite à un second rôle. Surnommée la Belle Fernande, ce qualificatif réducteur nous apparaît aujourd’hui peu représentatif de son importance.

Quatre-vingt pièces ont été réunies, peintures, sculptures, dessins, lithographies, photographies, mais aussi des manuscrits, des lettres, des documents audio et vidéo, et une installation contemporaine d’Agnès Thurnauer. La scénographie chronologique s’inspire des mémoires de Fernande Olivier, qui fréquente Henri Matisse, Max Jacob, Georges Braque, Juan Gris, Guillaume Apollinaire, Marie Laurencin, le Douanier Rousseau, Alberto Modigliani, Gertrude Stein. Fil rouge de l’exposition, ses écrits « Picasso et ses amis », chronique de la bohème montmartroise parue en 1933, puis son journal, recueil posthume publié en 1988 « Souvenirs intimes. Ecrits pour Picasso », éclairent la révolution esthétique au début du XXème siècle. Témoin privilégié, Fernande Olivier se dévoile au Musée de Montmartre en dix chapitres, dix étapes esthétiques illustrées par les grandes figures du Bateau-Lavoir, légendaire cité d’artistes montmartroise.



Le repas frugal 1904 (c) Succession Picasso 2022

Portrait de Fernande Olivier 1906 (c) Succession Picasso 2022

Joaquìm Sunyer

Ramon Pichot / Carlos Casagemas / Richard Canal



Sous le commissariat de Nathalie Bondil, directrice du département du musée et des expositions de l'Institut du monde arabe, et Saskia Ooms, responsable de la conservation du musée de Montmartre, assistées de Clémence Pinquier, la manifestation « Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir, développée au Musée de Montmartre avec le soutien du Musée national Picasso Paris, rend hommage à celle qui a accompagné cette période charnière, creuset de l’art moderne.

La gloire de Picasso plonge dans l’ombre ceux qui le fréquentent. L’oeuvre du génie, célébrée de son vivant, phagocyte le travail de ses compagnes. Aujourd’hui, la figure totémique de Picasso est remise en question, dénoncée pour sa misogynie, sa violence. L’artiste a soumis ses muses, les mères de ses enfants Françoise Gilot, Olga Khokhlova, Marie-Thérèse Walter et Dora Maar, chacune associée à une période, à des mauvais traitements. Première égérie, première figure féminine marquante et pourtant méconnue, Fernande Olivier, aussi intelligente que résiliente, entretient une relation fort différente avec le jeune peintre catalan. Amour de jeunesse, ils ont le même âge, vivent la même bohème miséreuse. Le couple avance sur un pied d’égalité. 



Buste de femme 1907 (c) Succession Picasso 2022

Georges Braque

Etudes tête de femme (c) Succession Picasso 2022

Femme assise dans un fauteuil 1910 (c) Succession Picasso 2022

Kees Van Dogen, illustrations pour le recueil
"Au beau temps de la Butte" de Roland Dorgelès


Fernande Olivier porte en elle un destin. Sa trajectoire illustre la condition des femmes au début du XXème siècle, histoire de misère, de violence, quête d’émancipation. A dix-sept ans, Amélie Lang, née en 1881 de père inconnu, est présentée à Paul Percheron, homme violent. Enlevée et abusée, elle est contrainte de l’épouser. La seule alternative étant la maison de correction. L’enfant qui naît de cette union en 1899, un garçon, est abandonné. Amélie fuit les violences conjugales de ce mariage subi en 1900 et se réinvente à Montmartre auprès des artistes de la bohème. Elle prend un pseudonyme, Fernande Olivier, pour échapper à son mari. Paul Percheron mourra en 1904 hôpital d’aliénés de Villejuif 

Fernande devient modèle professionnelle pour les peintres Carolus-Duran, Fernand Cormon, Giovanni Boldini. Elle fréquente les Catalans parisiens, pose Joaquìn Sunyer, Kees Van Dongen, Suzanne Valadon. Ricard Canals réalise « Une loge à la tauromachie » un tableau présenté au Salon de Paris en 1904, où elle apparaît avec l’épouse du peintre Benedetta Bianco. En ménage depuis 1901 avec le sculpteur Laurent Debienne, elle réside dans un atelier du Bateau-Lavoir, au même titre que Marcelle Braque et Alice Derain.

Fernande Olivier fait la connaissance de Pablo Picasso. Ils deviennent amants en août 1904 et emménagent ensemble en septembre 1905.  Elle lui cache son passé, ses conditions de vie. Relation mouvementée, passionnée, ponctuée de jalousie et de tromperies, Picasso lui demande de ne plus poser pour les autres peintres. Les nombreux portraits, esquisses, croquis, dessins réalisés par l’artiste durant cette période révèlent un Picasso amoureux, tendre. Du spleen miséreux de la période bleue, il glisse vers la joie de la période rose, les saltimbanques. Au tournant des années 1906/08, ces œuvres empruntent des pistes esthétiques inédites. La géométrie s’installe, le primitivisme l’intrigue. Le peintre mène les premières expérimentations cubistes.


Marie Laurencin


Marie Laurencin / Suzanne Valadon



Fernande accompagne Picasso à Gòsol en Catalogne en 1906 puis à Horta en 1909, deux moments de rupture stylistique. Au Musée de Montmartre, « Nu sur fond rouge » 1906, et le bronze « Tête de femme » 1909, traduisent la simplification progressive des lignes, les prémices de la géométrisation. En 1907 année des « Demoiselles d’Avignon », Picasso réalise de nombreuses études de tête de femme.  Au cours d’une brève séparation, Fernande pose à nouveau pour Van Dongen. Mais dès novembre 1908, elle participe au banquet de la bande à Picasso, en l’honneur du Douanier Rousseau. En septembre 1909, le marchand Daniel-Henry Kahnweiler, promoteur du mouvement cubiste, vend des œuvres de Pablo lui assurant de nouveaux revenus. Grâce à cette manne financière, le couple s’installe dans un appartement 11 boulevard de Clichy, où est peint « Femme assise dans un fauteuil » 1910.

En 1912, après huit années tumultueuses, la relation s’essouffle, Pablo fréquente Eva Gouelle. Fernande Olivier le peintre Ubaldo Oppi. Fernande humiliée, quitte un Picasso à la notoriété grandissante. A la suite de leur séparation, elle retombe dans la précarité. Condition féminine au début du siècle, la société ne reconnaît que les femmes mariées ou ayant un protecteur. Fernande Olivier vit d’expédients, récite des vers au Lapin Agile, multiplie les petits métiers chez Poiret, professeur de dessin, de diction, de français. En 1918, elle a une histoire avec le comédien Roger Karl qui se termine au début de la Seconde Guerre Mondiale. 


Joaquìm Sunyer

Fernande Olivier 1907 Kees Van Dongen

Nu assis sur un canapé 1916 Suzanne Valadon

Fernande Olivier 1907 Kees Van Dongen

Manquant d’argent, elle négocie en 1930 une série d’articles le journal du Soir, ses souvenirs du Bateau-Lavoir. Picasso intervient pour que cesse la parution tout en refusant de l’aide financièrement. Paul Léautaud remarque ces papiers et encourage Fernande à écrire. Stock édite en 1933 « Picasso et ses amis » préfacé par Léautaud.

En 1957, dans la misère, Fernande Olivier songe à publier son journal de jeunesse. Marcelle Braque transmet l’information à Picasso. Pour éviter une parution, il accepte de verser une pension annuelle à Fernande. Ils ne se revoient jamais. Elle meurt en 1966 à Neuilly.

Son filleul et héritier le peintre Gilbert Krill (1932-2022) fait publier « Souvenirs intimes. Ecrits pour Picasso » en 1988 afin que vive son souvenir, celui d’une femme de caractère dont les écrits témoignent admirablement d’une période cruciale de l’art moderne.

Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir
Jusqu’au 19 février 2023


Musée de Montmartre - Jardins Renoir
12 rue Cortot - Paris 18
Tél : 01 49 25 89 39
Horaires : Ouvert tous les jours de 10h à 19h - Dernière entrée 45 minutes avant la fermeture 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.