Lundi Librairie : Ethnomythologiques, petits objets du quotidien - Tobie Nathan



Catalogue joyeux, décalé de l’époque et de ses lubies, « Ethnomythologiques, petits objets du quotidien » de Tobie Nathan ausculte notre temps via le quotidien le plus prosaïque. Ce recueil de chroniques publiées originellement dans les pages de Psychologie magazine illustre par l’exemple matériel les aléas de la contemporanéité. Tobie Nathan se propose de déconstruire les symboles de notre société, les objets, si familiers, si banals qu’ils finissent par passer inaperçus. Ethnopyschiatre, disciple de Georges Devereux, professeur de psychologie, il pose un regard bienveillant sur ses semblables, ne se départissant jamais d’une bonne dose d’humour et d’autodérision. Sa lecture du sens caché des choses, leur signification parfois en opposition avec leur sens littéral, ouvre le champ d’une réflexion féconde. Double démarche d’ethnologue et de psychanalyste pour mieux explorer la vie concrète des gens. Le réseau social Tik Tok, l’enceinte connectée Alexa, l’application Yuka qui nous dit comment bien se nourrir, Deliveroo la livraison de repas à domicile, les monocycles électriques un mode de transport urbain alternatif, le handspinner, la toupie à main ou la puissance du hasard qui permet d’invoquer les dieux dans la poche, autant d’éléments que plus personne ne remarque mais qui en disent beaucoup sur nous, sur notre temps. 

Prise de conscience écologique, les gourdes ont remplacé les bouteilles en plastique facteurs de pollution sans que nous nous apercevions que nous avions recours à des biberons pour adulte, régressifs dans la forme, la couleur. Le jean slim, désormais si moulant qu’il ne laisse plus place à l’imagination, nous renvoie à la nudité des peuples indigènes de l’Amazonie. Le paiement sans contact, incarne l’ordre moral inédit du plaisir à distance engendré par les  nouvelles technologies et l’idée de la sexualité virtuelle. Pour accueillir ces éléments au quotidien, il a fallu inventer un vocabulaire, des expressions adaptées au contexte général ou réinventer des concepts vieux comme le monde. Le jeûne pratique ancestrale associée à la spiritualité et la religion, fait son grand retour dans le cadre du courant dédié au développement personnel. Ascèse et initiation, transhumanisme et volonté d’augmenter ses capacités physiques et mentales, animalisme et reconnaissance de sa nature animale, ou satisfaction narcissique infantile, il prend la forme de jeûne thérapeutique, de jeûne intermittent pour une souffrance réduite.

Les observations sociologiques de Tobie Nathan procèdent de la sémiologie, analyse des signes, chère à Roland Barthes. L’auteur multiplie les clins d’œil appuyés aux « Mythologies » publiées à la fin des années 1950. Outils d’idéologie, les mythes vecteurs de la doxa, sont les emblèmes à travers lesquels la société se pense. La chaîne signifiant signifié interroge les mécanismes idéologiques. Sous prétexte d’universalité, les classes dominantes cherchent à asseoir leur domination par la culture et la morale imposées sous la forme d’images. Invention des valeurs, les objets illustrent celles auxquelles adhèrent le propriétaire, l’ordre politique auquel il se rattache. 

La parole dépolitisée de Tobie Nathan bouscule les certitudes, les habitudes, remet en question les évidences. Ses textes jamais grinçants démasquent avec malice la réalité cachée. A la fin du recueil, il développe un ensemble de réflexions métaphysique au sujet de l’intelligence artificielle, l’ordinateur devenu Dieu, promesse de perfection, de performance. Il révèle le secret de l’intelligence la quantité de connexions possibles et se réjouit de cette nouvelle concurrence qui pousse l’être humain à se dépasser.

Ethnomythologiques, petits objets du quotidien - Tobie Nathan - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.