Jusqu’au 2 octobre 2022, le Musée d’art moderne André Malraux consacre une exposition au vent. La thématique originale et exigeante rendue accessible à tous ne manque pas d’évoquer quelques paradoxes. L’évènement relève un véritable défi : rendre tangible l’invisible, capturer une essence insaisissable. Pline l’Ancien dans son « Histoire naturelle », désigne le vent comme « cela qui ne peut être peint ». Depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine, le parcours foisonnant s’attache à rendre compte des techniques empruntées par les artistes pour représenter le vent. Personnification, symbolisme et au rendu des effets sur le paysage sont autant de manières de prêter forme à ce qui ne se voit pas. Du frisson de la brise, à la violence déchaînée de la tornade, force de vie amie lorsqu’elle actionne les ailes des moulins et permet les déplacements en bateau à voile, le vent peut en un instant se retourner contre celui qu’il aidait et se muer en puissance destructrice. Peintures, gravures, dessins, photographies, vidéos, œuvres graphiques, objets scientifiques, cent-soixante-dix œuvres et objets ont été réunis grâce notamment au soutien du Musée d’Orsay. Empruntant le cours chronologique, la scénographie se réserve quelques embardées thématiques, des rapprochements savoureux, ponts lancés entre les époques et les cultures. A travers cette exposition conçue en collaboration avec la photographe Jacqueline Salmon et le critique d’art Jean-Christian Fleury, Annette Haudiguet, directrice du MuMa, signe la fin d’un cycle autour du paysage.
L’exposition « Le Vent. Cela qui ne peut être peint » débute sur le parvis du MuMa, où les services des espaces verts de la ville ont imaginé une création paysagère, un parterre de graminées dont les hautes herbes à épis ondulent sous le vent. Au cours de l’Antiquité, les vents prennent les traits de Dieux, Eole, Borée, Zéphyr et Euros, qui à l’instar des divinités majeures se mêlent au commun des mortels et s’éprennent de belles jeunes filles. Cette représentation déifiée se poursuit jusqu’à la Renaissance et l’âge classique. Scène mythologique, l’« Enlèvement d’Orithye » (1783) par François André Vincent dialogue avec un vase grec datant du quatrième siècle avant notre ère, une oenochoé prêtée par le Louvre sur laquelle est représentée la même histoire.
« Les Petits roseaux dans le vent » (1646), délicate eau-forte de Jacques Callot convoque la quiétude d’un paysage caressé par la brise. Les vents sont matérialisés par des traits directionnels qui se retrouvent également dans la gravure « Les Quatre Anges retenant les quatre vents de la terre » (circa 1497) d’Albrecht Dürer, ou celle de Johann Jacob von Sandrart « Les Quatre vents principaux » (Borée, Auster, Euros, Zéphire) deuxième moitié du XVIIème siècle. Sandro Botticelli reprend la technique notamment pour « La naissance de Vénus » (circa 1484-85), chef-d’œuvre absent mais évoqué par une variation signée Raoul Dufy « Vénus Anadyomène d’après Botticelli » (circa 1945).
Les artistes cherchent à capturer le vent par ses effets, le mouvement qu’il imprime aux choses. Ses manifestations du souffle façonnent la forme des arbres, celles des herbes, mais également les vêtements des personnages qui gonflent et les empêtrent, le linge à sécher qui claque. Les tempêtes tordent les arbres et suggèrent un rapprochement entre « Le coup de vent » (circa 1865-70) de Camille Corot, celui de Frans Swagers en 1817 ou « Le chêne et le roseau » (1831) de Julien Coignet. Les « Hautes herbes agitées par le vent » (1983) de Gloria Friedmann procèdent de la même dynamique du mouvement. Les jeux d’ombre de « L’orage au bord du lac » (1782-84) de Pierre-Henri de Valenciennes songent à l’abstraction sans se laisser tout à fait emporter.
Au Siècle d’or, les peintres hollandais, représentant d’une nation conquérante sur les océans, s’attachent particulièrement aux marines, mer démontée, la houle, voiles gonflées par le vent, le grain qui fait pencher les mâts. La marine de Ludolf Backhuysen, deuxième moitié du XVIIème siècle et celle à l’aquarelle de William Turner semblent annoncer la dilution de la figuration.
Les remarquables dessins à l’encre de Victor Hugo, évoquent des naufrages, des paysages tourmentés. L’expressivité des lavis confirment l’importance des œuvres sur papier de la période romantique. La scénographie souligne les liens de parenté entre « Arbre couché » (1866), « Bateau vision » (1864) signés Hugo et « La baie des Trépassés, voilier dans la tempête » (1885) d’Henri Rivière ou encore les brumes de « L’aurore » (1902), une eau-forte d’Alfredo Müller.
Le vent voyou des caricaturistes du XIXème siècle provoque des accidents vestimentaires. Les dames sont emportées par un souffle auquel les dessinateurs tels qu’Honoré Daumier prêtent des intentions friponnes. Les artistes s’intéressent aux perturbations de la vie quotidienne, rendue plus intéressante par les bourrasques d’un vent taquin, l’aimable « Trottin sous la pluie » (1898) de Théophile Steinlen, la « Mala Noche », de la série des Caprices (1799) eau-forte de Goya, « Bourrasque sur le pont des Saint-Pères » (1889) de Louis Anquetin.
Le cinématographe des frères Lumière emprunte cette même voie. L’exposition présente une délicieux extrait de « Steamboat Bill Jr » de Buster Keaton dans lequel le comédien lutte contre un vent décidé. La photographie de Paul Nadar, Man Ray, Jean-François Lartigue, Brassaï saisit des instantanées de vie. Les émaux précieux de Philippe Favier, « Les vents » (1986) représentent des tissus colorés qui s’envolent à travers les pièces d’un appartement déserté.
L’exposition éclaire les similitudes entre la production occidentale et les estampes japonaises qui traduisent en images les accidents provoqués par le vent.
Les feuilles d’Ando Hiroshige côtoient celles de Katsushika Hokusaï « Le coup de vent dans les rizières d’Ejiri dans la province de Suruga » dix-huitième vue des « Trente-six vues du mont Fuji » vers 1831-34 gravure sur bois polychrome inspirent les artistes occidentaux.
Jeff Wall, plasticien canadien rend hommage à cette dernière oeuvre à travers une installation photographique « A sudden gust of wind » d’après Hokusaï (1993) ektachrome et caisson lumineux.
Les peintres impressionnistes Monet, Renoir, Boudin, Sorella sortent de l’atelier pour peindre sur le motif, en pleine nature. « Effet de vent, série des peupliers » (1891) de Claude Monet traduit cet intérêt particulier pour la représentation des effets météorologiques. Les impressionnistes multiplient les études de ciel, se passionnent pour les effets du vent sur l’eau, capturent le frisson de l’onde. En 1910, Félix Vallotton fait frémir la forêt dans une toile intitulée « Le vent ».
« Coup de vent à Deauville » (avant 1907) Denis Etcheverry croque une scène amusante, parasols de plage emportés par les bourrasques. Les objets d’étude et de mesure, objets techniques évoquent la naissance de la science météorologique. Les tableaux de la modernité empruntent des motifs singuliers aux phénomènes de l’urbanisation, de l’industrialisation.
La dernière partie de l’exposition consacre une place importante aux contemporains fascinés par les mouvements atmosphériques. Ils se prêtent à des expériences ludiques, scientifiques, à des observations poétiques. Bernard Moninot a enregistré les mouvements d’une brindille sur une surface couverte de noir de fumée. Les photographies de Corinne Mercadier et Eric Bourret s’accordent aux vidéos de Caroline Duchatelet et Manuela Marques. « Nuages, Carte des vents » (2022) de Jacqueline Salmon converse avec le diptyque « Massif, nuée » (2020) de Jean-Baptiste Née.
« Le Vent, Cela ne peut être peint », une exposition remarquable, pléthore de chefs-d’œuvre.
Le Vent « Cela ne peut être peint »
Jusqu’au 2 octobre 2022
MuMa - Musée d’art moderne André Malraux
2 boulevard Clemenceau - 76600 Le Havre
Tél : 02 35 19 62 62
Horaires : Du mardi au vendredi de 11h à 18h - Le samedi et le dimanche de 11h à 19h - Fermé le lundi
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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