Ce jour-là, Ziad fête ses dix ans. Il attend fébrilement son père Bertrand dans la cage d’escalier pour lui montrer un bon carnet de notes. Mais lorsqu’il entend son père entrer dans l’immeuble, l’ascenseur ne s’arrête pas au deuxième étage et poursuit sa course jusqu’au cinquième où habite Muriel. Les rires étouffés ne laissent pas de doute. Bertrand et la jolie voisine célibataire entretiennent une relation. Le monde du petit garçon s’effondre. Désormais, Ziad guette tous les jours les retours tardifs de son père. Bertrand se rend de plus en plus souvent chez Muriel. La mère de Ziad, Anne, dissimule ses chagrins au fond d’un verre de vin et feint de ne rien voir. Entre la fin de l’école et l’heure à laquelle les parents rentrent du travail, Ziad passe de longues heures seul et rumine. Un après-midi, le petit garçon sonne à la porte de Muriel pour lui dire de ne plus voir son père. Bouleversée par cette visite, elle rompt avec Bertrand. Et émue par cette solitude d’enfant délaissé, se prend d’affection pour Ziad. Scripte pour le cinéma, elle l’invite sur un plateau de tournage.
La succession fluide des récits emprunte le point de vue de l’enfant trop mature pour son âge, de la maîtresse timide, du père infidèle puis de la mère dépressive. D’une écriture cinématographique, Isabelle Carré saisit des instantanés de vie. Les saynètes révélatrices campent des personnages subtils dont la progression psychologique enrichit les caractères. Dans la première partie, la narration à hauteur d’enfant, met en exergue l’inversion des rôles. Ziad porte le poids des adultes et se met à les protéger. A force d’épier une relation adultère, les disputes incessantes de Bertrand et Anne, il développe une anxiété qui n’est pas de son âge. Il souffre de la désunion de ses parents et plus encore de la solitude. Délaissé, il trouve refuge auprès de Muriel, figure maternelle de remplacement. Les rapports entre le petit garçon et la maîtresse de son père, de la détestation à la méfiance, évoluent vers un lien plus durable, deux solitudes qui se consolent.
Sous des apparences tranquilles, Muriel vit repliée sur la douleur d’évènements survenus quinze ans plus tôt. Alors jeune comédienne, elle a été abusée par un réalisateur manipulateur lors de son premier tournage. Elle porte désormais le poids d’une honte paradoxale, la culpabilité de la victime. Isabelle Carré, elle-même actrice, évoque un monde qu’elle connaît bien. Elle donne à voir l’inaccessible envers du décor pour évoquer à la fois les zones grises de l’emprise ainsi que la libération de la parole des femmes à la suite de l’affaire Weinstein en 2017. Bertrand dissimule à ses proches un secret médical qui lui rappelle la fugacité de l’existence. Anne, traversée par un désir de fuite, s’étourdit d’alcool pour échapper à son quotidien, au délitement de son couple.
Le passé éclaire la situation présente et donne sens au cheminement des protagonistes, la maladresse touchante de l’un, la dépression de l’autre, la fragilité de celui-ci, les cicatrices indélébiles de celle-ci. Les fluctuations de style incarnent les vulnérabilités des personnages et soulignent l’importance des secrets enfouis sous les apparences tranquilles. La violence couve, les traumas passés rongent toujours, les terribles chagrins ne s’oublient pas, les fêlures se dissimulent.
Du côté des Indiens - Isabelle Carré - Editions Grasset - Poche Le Livre de Poche
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