Lundi Librairie : Les femmes du North End - Katherena Vermette

 


Dans le quartier défavorisé de North End à Winnipeg au Canada, Stella, mère épuisée de deux enfants en bas âge, est réveillée en pleine nuit par les pleurs de son bébé. Par la fenêtre de son salon, elle aperçoit le terrain vague voisin recouvert de neige. La nuit est glaciale. Elle assiste avec horreur à l’agression violente d’une jeune fille que ses assaillants laissent pour morte. Jeff, le mari de Stella, est absent. En panique, elle appelle la police mais la patrouille met un temps considérable pour arriver sur les lieux. Victime et agresseurs ont disparu. Les deux policiers circonspects remettent en doute la déposition de Stella, parce qu’elle est bouleversée et donc peu cohérente dans son récit mais surtout parce qu’elle est d’origine amérindienne. Pourtant, troublé par ce témoignage, l’agent Tommy Scott, lui-même métis, choisit de poursuivre l’investigation sans en informer son collègue blanc. Et rapidement, il fait le rapprochement avec l’hospitalisation d’une enfant de treize ans, agressée sexuellement avec une bouteille. 

Au chevet d’Emily, qui se révèle être la fille de la cousine de Stella, sept femmes de la même famille, se relaient. Dans le drame, alors que parfois elles ne sont plus vraiment proches, elles redeviennent un clan soudé et résilient. La matriarche, Flora dite Kookom, la grand-mère en cri. Ses deux filles. Cheryl, artiste qui tient une galerie d’art, alcoolique fonctionnelle, ne se remet pas de la perte de sa sœur Lorraine, dite Rain, disparue dans des circonstances tragiques quinze ans plus tôt, devenue présence protectrice esprit de la femme loup. Stella la fille de Rain, qui a été élevée par sa grand-mère Flora, a épousé un blanc, puis laissé les liens se distendre dans une tentative de s’éloigner du quartier de son enfance. Les filles de Cheryl. Louisa, assistante sociale, un fils adolescent tenté par les gangs, vit mal d’avoir été délaissée par Gabe, son compagnon désireux de retourner vivre à la réserve. Paulina, aide-soignante à l’hôpital, mère d’Emily, lycéenne sans histoire qui vit son premier coup de cœur pour le mauvais garçon. Et puis il y a Ziggie, l’amie de Stella, qui était là le soir fatidique. Phoenix, adolescente à la dérive, jeune délinquante, fille d’une toxicomane et nièce d’un chef de gang, vient de se sauver d’un centre de détention pour mineurs et tente d’échapper à la police.

Originaire de Winnipeg, Katherena Vermette, dont la mère est Mennonite et le père Métis, interroge l’identité morcelée des Amérindiens du territoire manitobain. Poétesse, romancière, cinéaste, son oeuvre explore les enjeux sociétaux auxquels sont confrontés ses population victimes de d’un racisme systémique de grande ampleur. « Les femmes du North End » s’inscrit dans le cadre d’une fresque intergénérationnelle, peuplée de dix personnages, dont sept appartiennent à la même famille. A travers cette lignée marquée par les traumas, archétype entre endurance et résilience, la romancière dénonce la condition des femmes amérindiennes sans jamais sombrer dans le misérabilisme ou l’apitoiement. Un rapport statistique canadien paru en 2016, établissait que les femmes autochtones sont deux fois plus susceptibles d’être victimes d’actes de violence, et trois fois plus d’agressions sexuelles. 

Katherena Vermette remonte le fil des événements dans une construction portée par l’enquête policière. Le changement de point de vue rythme la narration. Chaque chapitre se recentre autour d’un personnage, sa perception des événements, ses souvenirs. L’autrice dit cette expérience collective de la violence sociétale, la discrimination, l’alcool souvent, les hommes absents. Le choix d’écrire à la troisième personne, sauf pour Louisa dite Lou et Flora, donne une dimension particulière à la poursuite d’une introspection. Les souvenirs affleurent par bribes. L’amertume et les revers nombreux laissent souvent la place aux joies. Portraits de femmes émouvants, personnalités complexes combattives, entre résignation, acceptation et résilience.

A ce chœur vibrant de femmes, quatre générations de survivantes, filles, sœurs, mères, cousines, s’ajoute la voix de l’agent Scott, Tommy, chargé de l’enquête, métis. Entre deux mondes, il peine à trouver sa place, marqué par le racisme de son propre père envers sa mère, son collègue qui multiplie les remarques déplacées et les Amérindiens qui ne le considèrent pas comme l’un des leurs. Les destins intriqués forment un kaléidoscope contrastés de récits intimes. Katherena Vermette brosse un tableau plus vaste tandis que les éléments se resserrent, pièces du puzzle peu à peu mises en place. 

Les communautés amérindiennes en proie au racisme, aux préjugés, éprouvent des difficultés à s’ancrer dans une société qui les rejette. La misère, les addictions, l’alcool et la drogue, la violence des gangs, l’éclatement du noyau familial, la perte irrémédiable de la culture ancestrale, l’assimilation forcée détruisent les êtres. Parfois, comme pour personnage de Gabe, le désir de faire le chemin inverse, quitter la ville pour retourner à la nature, et retrouver les traditions perdues, semble la seule voie envisageable. Mais les femmes portent en elles l’espoir tenace. 

Les femmes du North End - Katherena Vermette - Traduction Hélène Fournier - Editions Albin Michel - Collection Terres d’Amérique



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.