Portrait de Parisien : Timothée Lissowski, directeur du Magnifique, une vie la nuit


 

Figure des nuits parisiennes, Timothée Lissowski veille sur les établissements de la galaxie Demarle depuis plus de quinze ans. Désormais directeur du Magnifique, ancien The Bistrologist, il a durant une décennie réinventé le Café Chic, entre restaurant élégant, bar à cocktails et club à échelle humaine. De sa facilité à créer du lien, il a fait une vocation dispensant la même courtoisie attentive aux illustres inconnus comme aux peoples qui se pressent à sa porte. Il gère les lieux dont il a la charge avec une énergie communicative, une bienveillance rare dans le milieu des noctambules. A un solide carnet d’adresses, il associe un certain « bagout parisien » et une impeccable affabilité jamais guindée. Attachant, curieux des autres, chaleureux, chaque soir, il endosse son costume de lumière « comme pour son dernier Olympia ». Timothée entre en scène. Il se fait alchimiste. Passé maître dans l’art de distiller des ambiances à la fois bon-enfant et délicieusement festives, il sait déclencher la frénésie du bouche-à-oreille, l’un des fondamentaux du succès. Il marque de son empreinte les établissements, impose une patte où la spontanéité, la bonne humeur à toute épreuve et l’humour permettent de désamorcer les éventuelles tensions. La monotonie, l’ennui n’existent pas la nuit. Et la morosité est hors de propos. Timothée connait la recette des rendez-vous incontournables, des établissements hauts de gamme où tout le monde s’amuse. Rigueur de la gestion et diversité des genres. Sens du détail, fleurs fraîches sur chaque table, douceur flatteuse des éclairages tamisés. Il faut un peu plus que du champagne et des jolies filles pour transformer une adresse sympathique en lieu couru. Au Magnifique, la précieuse dynamique confère une vie particulière à ce lieu pluriel. Personnalités du showbiz et de la culture, girls du Lido pour un dîner tardif d’après spectacle, Calogero sortant de concert, croisent dans la plus grande simplicité élégants touristes étrangers et jeunesse dorée branchée. L’esprit de la fête



Opportunités, heureux hasards et noctambulisme précoce assumé ont conduit Timothée sur les chemins des nuits parisiennes. A vingt ans, il rejoint à l’occasion de l’inauguration les équipes de Colette, le mythique concept store. Dans ce temple de la tendance et du luxe, il observe beaucoup, capture l’essence d’une certaine exclusivité, exerce ses talents de fidélisation d’une clientèle pointue. Puis tenté par des horizons plus festifs, il œuvre durant trois ans à l’accueil du Nirvana Lounge de Claude Challe où il apprend la restauration et s’initie à la nuit côté coulisses. Une brève expérience à Marrakech durant six mois, il revient à Paris. L’un de ses amis le présente à Olivier Demarle qui vient tout juste d’acquérir un ancien bar à bouchon, le Tania, rue de Ponthieu. Le jeune entrepreneur est en train de réunir une équipe autour de Danièle, qui a fait les longues heures du mythique Mathi’s voisin.

L’aventure Tania tourne court mais Olivier Demarle qui a remarqué son charisme souhaite lui confier la direction d’un lieu intimiste, qui fonctionne bien le midi mais peine à décoller le soir : le Café Chic. Timothée reprend les rênes de l’établissement en étant lui-même. Il fait venir ses amis, ses connaissances, mise sur le bouche-à-oreille. L’entreprise est artisanale, le bataillon réduit - un barman, trois serveuses, un agent de sécu - le succès foudroyant. « C’est quelque chose que je savais bien faire naturellement. Je n’avais pas l’impression de travailler. Un truc que je savais faire sans me donner de mal. Je savais naturellement mettre en condition les gens. Mettre une bonne ambiance […] Je sortais depuis l’âge de quatorze ans. C’était inné. Une seconde nature. Une passion. J’ai trouvé spontanément. Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. »

Pris au sérieux dans son rôle de directeur d’établissement, Timothée va inventer durant dix ans une atmosphère grâce à son sens de la fête. « Tout le monde connaissait le Café Chic. C’était incontournable, passage obligé dans la soirée, sans être prétentieux ». Le succès du Café Chic propulse le groupe d’Oliver Demarle, soutenu par l’investisseur Addy Bakhtiar. Il se développe avec le rachat de la Villa, du Magnifique. Un empire de la nuit est né.

Depuis seize ans, Timothée demeure fidèle à la galaxie Demarle, cas rarissime dans le monde de la nuit fameux pour ses ambitions volages. Démarché, dragué par les concurrents directs, il reçoit de nombreuses propositions. Trois ans après ses débuts au Café Chic, l’un des plus grands clubs parisiens, celui de ses plus jeunes années, là où il a grandi à la nuit en tant que noctambule, lui propose de devenir son directeur. Mais Timothée décline la proposition et fait mentir la réputation d’un univers festif hypocrite, opportuniste, basé sur des relations fausses et superficielles, désincarnées. A cette idée, il oppose une vision très humaine du métier, fondée sur les liens, la confiance, la loyauté. Dix ans au Café Chic, un passage au restaurant le Basilic à des horaires plus classiques, Timothée est de retour à la nuit avec « Le Magnifique » ancien The Bistrologist, avenue de Friedland.

L’élégance du restaurant embrasse avec malice l’intimité du bar à cocktails puis la noce joyeuse à l’ambiance de club plus tardive. Trois en un. « Les clients font l’endroit. On est le maître d’orchestre. On donne le la. Parfois l’ambiance s’enflamme, c’est amusant, imprévisible […] Les gens viennent juste pour dîner à 21h et finalement ils restent faire la fête jusqu’à 5h du matin ». Pour Timothée, il s’agit d’être abordable, d’établir aussi les limites, d’anticiper et surtout savoir scanner les dynamiques de groupe tout en étant plaisamment commerçant. « La nuit, c’est beaucoup de psychologie, d’observation ». Chaque soir, il faut tout recommencer, tout donner. Avoir le goût des autres est essentiel. Timothée reconnaît les gens, sait ce qu’ils aiment. « Un mec qui vient avec sa nana, sa nouvelle recrue, s’il veut crâner, il vient chez moi, parce que d’un coup, il y a son whisky préféré qui atterrit à sa table sans qu’il l’ait demandé. Ça lui permet de faire de l’effet, d’asseoir son personnage […] Beaucoup de couples se retrouvent au Magnifique pour une première date avec ses tables rondes qui facilitent le rapprochement, ses angles discrets. Le lieu cohérent dans son énergie est tout aussi propice aux bandes d’amis avec certaines tables plus grandes. »

Un peu nostalgique des années Palace et Queen, Timothée regrette une évolution de la nuit vers des univers plus cloisonnés. Sa philosophie personnelle, « grand mélange, grande liberté, ouverture d’esprit », s’inspire du modèle iconique du Mathi’s, une ambiance cossue décalée, des stars et des petits jeunes de vingt ans. Il perpétue cette grande tradition de la nuit des patrons à forte personnalité, figures emblématiques de leur établissement, tels que Jean Castel, Régine, Gérald Nanty. Aujourd’hui, les lieux festifs appartiennent à des hommes d’affaires. La nuit se rétrécit, moins d’envergure, d’extravagance. Les soirées se cantonnent au week-end. Pourtant la récente crise sanitaire a éclairé une envie de faire la fête, de se retrouver différemment. Les nouveaux modes de consommation et les réseaux sociaux ont changé la donne ainsi que la façon de communiquer.

Sans sombrer dans l’angélisme, Timothée crée une dynamique inclusive afin que chacun passe une bonne soirée : « une seule catégorie de personnes, ça devient vite ennuyeux ». La sélection, le filtrage demeurent obligatoires pour trouver la bonne formule. Timothée choisit parfois même d’aller à rebours des préceptes actuels notamment de l’âgisme manifeste de ce milieu. Au Café Chic, il n’était pas rare de trouver parmi les habitués, des vieilles dames très chics de soixante-dix ans qui faisaient la fermeture à l’aube avec les petits jeunes de vingt-ans. En revanche, Timothée est intransigeant sur l’image, la présentation. Il faut faire un effort. « Les gens manquent d’élégance de look. Ils mettent un sweat capuche. Ils s’imaginent qu’ils sont bien pour sortir. Après ils s’étonnent quand on les refuse. Ou en survêtement. Je ne tiens pas une salle de sport. » Faconde aimable, il désamorce le refus avec de l’humour : « Le cours de zumba est terminé. Je suis désolé. J’ai libéré le prof […] ça les fait rire. Je refuse sans être désagréable pour leur donner envie de revenir mais plus apprêtés. » 

La nuit exige en contrepartie de ses ors et de ses fastes, de cette vibration intense, un investissement physique et moral complet. « Douze à quatorze heures par jour, ce sont des métiers accaparants. On ne peut pas dissocier sa vie personnelle de ce boulot. Tu incarnes un endroit et sa philosophie. […] Parfois, il y a un peu de fatigue mais c’est tellement euphorisant, il y a tellement d’adrénaline que l’ennui est vite balayé. […] La vie personnelle et le travail sont intriqués. On rate les anniversaires, les dîners, les mariages. Les amis viennent nous voir même si on a peu de temps à leur accorder. Un choix, des concessions mais aussi des avantages. Le prix d’une vie trépidante ».

Ce solide optimisme a néanmoins été mis à mal par la crise sanitaire. Timothée a eu l’impression de passer d’une hyper sociabilisation à un statut d’asocial hors sol. « Du jour au lendemain, tu ne vois plus personne, tu ne parles plus à personne […] Le contraste a été saisissant. Je me suis senti orphelin, démuni. J’avais perdu mes repères. Le vague à l’âme a été violent. »

Raison pour laquelle, il conseille à ceux qui voudraient faire de la nuit leur pays d’être prudent et de conserver les pieds sur terre. « Il faut faire attention aux compliments, rester lucide, garder ses valeurs. Préserver les amitiés sincères hors nuit parce que tu peux aussi très vite t’envoler. » Le monde de la fête n’est pas dépourvu d’une certaine hypocrisie, gentillesse forcée pour obtenir des faveurs, sourires contraints pour séduire les grands orchestrateurs de soirées. 

« Quand tu es dans la lumière, c’est agréable, les gens sont charmants mais quand tu n’y es plus, on t’oublie aussi rapidement. C’est le jeu ».  Pour durer, il estime qu'il est nécessaire de "garder la tête froide, tracer son chemin, ne pas se perdre, et pour tenir physiquement, respecter son corps, ne pas se droguer, ne pas boire."

Afin de trouver sa place dans les métiers de la nuit, Timothée conseille de cultiver le sérieux et le naturel tout en étant capable d’endosser un rôle, de donner le change les jours où la fatigue guette.  « Les gens ont une grande attente vis-à-vis de la personne qui tient le lieu. Il faut savoir jouer la comédie, même les jours où on n’a pas envie. Ils attendent que tu sois à 100 % tous les jours, les blagues, beau, bronzé, bien habillé. Assumer ça même si tu es fatigué, moins en forme que d’habitude. Prendre sur soi et rester ferme. Diriger avec le sourire. » Et puis, c’est beau une ville la nuit !

Retrouvez Timothée Lissowski sur sa galerie Instagram ici

Le Magnifique
16 avenue de Friedland – Paris 8
Horaires : Ouvert du lundi au samedi de midi à 6h
Tél : 01 53 53 02 02



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.