La nouvelle de Balzac, « Le Chef-d’oeuvre inconnu », récit philosophique au sujet de la création, fascine les artistes depuis sa publication en 1831 dans le journal « L’Artiste » sous le titre de « Maître Frenhofer ». La fable fantastique se déploie autour d’un vieux maître en quête d’idéal, en proie au doute, incapable d’achever son chef-d’oeuvre, faute d’inspiration. Traité d’esthétique sous couvert de conte, la nouvelle considère le rapport vénéneux entre Eros et Thanatos, le désir et la mort. Séduits par l’intemporalité du propos, la modernité de l’écrivain, de nombreux plasticiens contemporains se sont emparés du texte afin d’en proposer une relecture très personnelle. A l’occasion de l’exposition « Le Chef-d’oeuvre inconnu, entre génie et folie », Yves Cogneux, directeur de la maison de Balzac et ses équipes ont réuni les productions très variées d’artistes dont l’imaginaire se nourrit de l’oeuvre balzacienne. De Pablo Picasso à Paula Rego, d’Anselm Kiefer à Jacques Rivette, l’ensemble de dessins, toiles, collages, travaux d’illustration, ouvre les champs de réflexion en explorant les variations fruits d’un processus d’identification. La liberté d’adaptation, approche insolite, donne naissance à des œuvres qui s’émancipent radicalement du récit originel. Pour autant, elles en prolongent la pensée. Elles interrogent la puissance créatrice, la déraison, soulève la question de beauté, de la place du modèle, explorent les dimensions alternatives de la représentation, l’abstraction et la figuration. L’événement qui se tient à la Maison de Balzac vient souligner l’attachement, la fascination des artistes pour cette oeuvre littéraire.
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
Le chef-d'oeuvre inconnu, éditions Vollard, illustré par Picasso |
En 1924, en visite à l’atelier de Picasso, le marchand d’art Ambroise Vollard prend connaissance d’un carnet de croquis. La série d’études graphiques représente des points reliés par des lignes droites à la façon des constellations du zodiaque. Le procédé évoque à Vollard la mystérieuse dédicace du « Chef-d’oeuvre inconnu » : À un lord (suivi de cinq lignes de points) ajoutée par Balzac dans l’édition de 1846. Les seize pages dessinées par Picasso sont ajoutées en introduction d’une édition inédite de la nouvelle. En 1927, douze gravures hors texte complètent l’ouvrage qui par sa singularité va perpétuer la curiosité envers ce texte empreint de mystère.
En 1991, le cinéaste Jacques Rivette réalise « La Belle noiseuse », film librement inspiré de l’oeuvre de Balzac. Michel Piccoli dans le rôle de Frenhofer, donne la réplique à Emmanuelle Béart dans celui du modèle Gillette devenue ici Marianne, à Jane Birkin, à David Burtzein dans le rôle de Nicolas et à Hilles Arbona en Porbus. Les toiles présentées au fil du long-métrage sont réalisées par le peintre Bernard Dufour, quatre oeuves inédites exposées à la Maison de Balzac.
Bernard Dufour avec l'intervention ponctuelle de Michel Piccoli Sans titre 1990 |
Bernard Dufour - Sans titre 1990 |
Bernard Dufour - Sans titre - 1990 |
Paula Rego - Etude pour Painting him out - 1990 |
Paula Rego -Painting him out - 2011 |
Anselm Kiefer - Le chef-d'oeuvre inconnu - 1982 |
« Le Chef-d’oeuvre inconnu » de Paula Rego, composition théâtralisée, profusion dynamique, surprend par le foisonnement des détails baroques, volontiers surréalistes. Le style laisse transparaître l’influence esthétique de Lucian Freud, Francis Bacon, Victor Willig son époux. Tandis que dans la nouvelle de Balzac la femme est reléguée au rôle d’objet périphérique de désir, elle devient ici le personnage central et se mue en autoportrait.
Le peintre écossais Callum Innes détruit les oeuvres dont il n’est pas satisfait. Afin de proposer une édition très exclusive du « Chef-d’oeuvre inconnu », il avait fait découper en bandes ces toiles qui devaient disparaître. Mais en pratique, les lambeaux se sont révélés trop courts. Afin de mener le projet à bien, il a sacrifié une trentaine de tableaux qui ne faisaient pas partie de ces rebus et parmi lesquels certains avaient déjà été exposés.
L’aquarelle d’Anselm Kiefer exposée à la Maison de Balzac représente la galerie des marbres de la chancellerie du troisième Reich, commandée par Hitler à l’architecte Albert Speer en 1938. L’artiste trace un parallèle entre les réflexions sur l’art évoquées dans la nouvelle de Balzac et l’expression des ambitions monumentales des architectes fascistes. Subjectivité du regard. L’artiste Eduardo Arroyo s’empare du motif sensuel, dos nu du modèle recomposé en une mosaïque de fragments photographiques.
Afin de mieux apprécier la visite, relire la nouvelle de Balzac en amont serait une idée judicieuse.
Le Chef-d’oeuvre inconnu, entre génie et folie
Jusqu’au 6 mars 2021
Maison de Balzac
47 rue Raynouard - Paris 16
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h - Fermé le lundi et les jours fériés
Tél information et réservation : 01 55 74 41 80
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire