Lundi Librairie : Les vies de Jacob - Christophe Boltanski - Rentrée littéraire 2021

 


Une amie productrice confie à Christophe Boltanski un curieux album photo découvert aux Puces. Il contient des séries d’autoportraits, 369 en tout, réalisés par un inconnu dans des cabines photographiques entre 1970 et 1974. Au naturel ou bien grimé, en uniforme, en costume sombre, en chemisette d’été, l’homme documente son existence dans des mises scène intrigantes. Sourire spontané ou crispé, grimaces ou pantomimes, il simule la désinvolture ou le sérieux, rincé ou farceur. La productrice obnubilée par les clichés, charge Christophe Boltanski de retrouver sa trace. Elle y voit matière à documentaire, voie alternative entre la réalité et la fiction. Le romancier tente d’élucider le mystère, au fil d’une enquête, laquelle se mue en une flânerie poétique.

Quel était donc ce rituel photographique, geste artistique ou egotrip compulsif ? Sous la plume de Christophe Boltanski, l’histoire de cette compilation d’images devient matière littéraire. Il se laisse souvent porter par le hasard. Les rares indices propices aux fantasmes, ne donnent que rarement de réponses aux interrogations suscitées. En page de garde, une note intrigante « en cas d’accident, prière de contacter le consulat d’Israël, 3 rue Rabelais à paris 8è ». Un point de départ savoureux de théories variées : l’inconnu aurait-il été agent de renseignements du Mossad, steward ou bien encore acteur ?

A partir de ces rares détails, Christophe Boltanski redéfinit l’identité de cet homme. Il rassemble les pièces d’un puzzle où l’incertitude du poète lui apparaît plus séduisante que la rigueur de l’enquêteur. Hommage posthume à un anonyme, il retrouve tout d’abord son nom, « une ébauche de destin », Jacob B’rebi dont le prénom change en fonction des pays, s’adapte, se traduit. L’album de Jacob, précurseur de l’autoportrait en série, le selfie, questionne la notion d’identité démultiplication des images de soi.

Christophe Boltanski raconte en sous-texte la naissance d’un livre, la rencontre avec l’énigme, le romanesque. Il reconstitue un parcours, sur la piste des vies réelles et rêvées de Jacob à Rome, Bâle, Marseille, Barbès à Paris. Sa quête le mène jusqu’à la banlieue de Tel Aviv et au cimetière de Djerba. Au gré de détours et d’impromptus, il dévide le fil d’une existence, se penche sur les strates superposées qui la composent, compulsent les rares documents qui en témoignent encore, autant d’archives à collecter.  

Les coïncidences, l’imprévu, l’inattendu rajoutent au flou des suppositions quand la rencontre avec les enfants de Jacob rend terriblement poignant le rappel de sa réalité. Jacob n’est pas qu’une figure romanesque, il a bien existé au-delà de toutes les projections possibles. Le récit miroir de Christophe Boltanski éclaire une forme de quête existentielle, un désir de liberté. Il convoque l’intime et le collectif, les traumas de l’enfance, les renoncements, l’exil, les guerres, le souffle de l’Histoire, la puissance du hasard. « Les vies de Jacob », capsule temporelle, trace en creux le portrait des années 1970. Christophe Boltanski capture l’épopée minuscule d’un homme presque ordinaire et pourtant si singulier. Comme chacun de nous.

Les vies de Jacob - Christophe Boltanski - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.