Lundi Librairie : Artifices - Claire Berest - Rentrée littéraire 2021



Abel Bac, policier consciencieux, vient d’être mis à pied par sa hiérarchie. Il n’a pas fait la démarche pour en découvrir la raison exacte même s’il a une vague idée. Cette suspension à la suite d’une dénonciation, l’impression de ne plus servir à rien le replonge dans des traumas passés. Ses troubles obsessionnels compulsifs prennent des proportions alarmantes. Taiseux et solitaire, il soigne ses insomnies en marchant toutes les nuits à travers les rues de Paris. Le jour, il se replie chez lui, sa collection d’orchidées pour seule compagnie. Mila, une artiste performeuse de renommée internationale, affole le monde de l’art contemporain par ses happenings sauvages, interventions provocatrices dans l’espace public. Elle est parvenue à préserver son anonymat malgré un succès foudroyant et une côte au sommet. De retour en France, elle s’est installée à Paris pour régler ses comptes. Un mystérieux cheval blanc est introduit par des inconnus au Centre Pompidou. Abel reçoit, sans être abonné, plusieurs exemplaires du journal Le Parisien relatant l’incident en Une. La silhouette du même animal est peinte sur un mur pas très loin de chez lui. Un soir, Elsa, la fantasque voisine d’Abel, rentre ivre.  Se trompant de porte, elle débarque chez le policier. Dès lors, la jeune femme plutôt envahissante perturbe de ses intrusions impromptues la réclusion volontaire d’Abel. Camille Pierrat, une collègue de ce dernier qui en pince pour lui, s’inquiète de son silence prolongé.  

A la suite du très beau livre consacré aux amours de Frida Kahlo et Diego Rivera, « Rien n’est noir », Claire Berest signe un nouveau roman dans une veine différente sans pour autant se départir d’une forme de fascination pour l’art et les artistes. Faux thriller, vrai suspense, « Artifices » joue des codes du genre, détourne les motifs du polar dans un récit haletant. Dans cette enquête au coeur la psyché, les coïncidences n’en sont pas. Les messages cryptés se multiplient, la fable de Jean de la Fontaine, « Le loup, le renard et le cheval » pour fil rouge et un feu d’artifice du 14 juillet obsédant. Les faits inexplicables se révèlent autant de pièces d’un même puzzle. Au gré d’une narration à l’architecture maîtrisée, Claire Berest éclaire les réactions paradoxales des personnages sans pour autant dissiper tout le mystère. En conteuse experte, elle distille les indices avec art, reconstitue la vue d’ensemble du tableau en préservant des zones d’ombre. L’inconscient à l’oeuvre nourrit le souffle romanesque d’un texte qui s’amuse à brouiller les lignes.

Plume allègre, dialogues efficaces, Claire Berest se lance dans un jeu de pistes où convergent les récits, le destin de Mila, celui d’Abel, le présent et le passé. Le policier personnage sombre, sauvage, inadapté à la société n’a pas surmonté un traumatisme dont l’autrice révèle peu à peu la teneur. Sa difficulté à entrer en contact avec les autres le caractérise si bien qu’à sa suspension, le seul soulagement lui vient de sa retraite hors du monde. Quand l’histrionique Elsa vient l’en déloger, il vacille dans un flottement, ne sait plus où il en est. Il peine à maintenir les artifices dont il s’entoure, notamment les TOC, pour continuer à vivre.

En contrepoint, Mila, l’artiste insaisissable jalouse de son anonymat, oscille entre Banksy et Marina Abramovic. La multiplication de ses happenings étranges forme une œuvre globale éphémère sujette à polémique. L’artificialité des mises en scène dont elle ne révèle pas toujours la signification laisse le spectateur dans l’obscurité des supputations. L’énigme du lien qui unit les deux protagonistes principaux, nourrit un mystère partagé. Roman noir tout autant que réflexion sur la création, « Artifices » interroge le processus et le statut de l’artiste. Marginaux chacun à leur façon, Abel et Mila se sont construits des cocons hors de la réalité. Ils devront en parallèle entamer une même démarche cathartique, une confrontation féconde aux traumatismes fondateurs.  

Artifices - Claire Berest - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.