Lundi Librairie : Mon mari - Maud Ventura - Rentrée littéraire 2021

 


Après quinze années de vie commune, elle éprouve toujours la même passion dévorante des débuts à l’égard de son mari. Deux enfants, une belle maison dans une banlieue bourgeoise, des carrières professionnelles épanouies, il travaille dans la finance, elle est professeur d’anglais et traductrice reconnue, un cercle d’amis élégant, des loisirs à l’avenant, ils présentent toutes les apparences du couple idéal selon la norme. D’un milieu social moins favorisé que lui, elle a développé un certain complexe d’infériorité et mise beaucoup sur son physique. Elle prend soin de cacher ses débordements de sentiments sous des stratégies censées entretenir la flamme. Ce petit manège tourne à l’obsession. Elle le trouve moins prévenant et craint un tiédissement de son amour. Elle scrute, épie et consigne les moindre faits et gestes de son mari. Elle le teste. Lui tend des pièges. Elle laisse traîner son journal intime dans lequel elle affabule ou pire dit la vérité, elle écrit de vraies fausses lettres érotiques à des amants imaginaires. Peine perdue. Elle est convaincue qu’il l’aime moins, que l’apaisement des sentiments est synonyme de détachement. Au quotidien, sous couvert de compromis, elle note sur des carnets chacune des fautes de son mari avec une minutie maniaque. Il dort les volets fermés, elle les préférait ouverts. Il s’est couché sans lui souhaiter bonne nuit. Lors d’un dîner, il l’a comparé à une clémentine. Au restaurant, il s’est montré bien trop aimable avec une jeune serveuse. Alors elle assène des punitions selon une grille d’évaluation de haute précision. Parfois même elle le trompe, expédient préventif.

Aussi drôle que féroce, « Mon mari » dresse un terrible constat sur la réalité du couple contemporain. Maud Ventura, primo-romancière, prend plaisir à pointer le décalage flagrant entre le discours féministe moderne et la réalité des relations idéales, un concept établi selon les principes normatifs d’une société patriarcale. Elle est belle. Il est riche. Et ils eurent beaucoup d’enfants. La romancière déploie un récit inquiétant en sept chapitres, sept jours de la semaine dans l’enfer du couple. D’une causticité glaçante, elle décrypte leur intimité, embrasse la banalité du quotidien pour mieux faire déraper les rituels immuables. Le ton est clinique, la plume affûtée et le second degré savoureux.

Fable domestique grinçante, ce journal fictionnel explore la complexité du sentiment amoureux à travers les yeux d’une quadragénaire qui refuse de rendre les armes face à la décristallisation et la tiédeur envahissante. La narratrice tente par tous les moyens de susciter l’attention défaillante de ce mari moins ardent après tant d’années de mariage. Elle se rend malade à force de consigner les manques d’égard, les traces de trahisons minuscules. Résignation, charge mentale et ratiocination, la déraison jusqu’à la folie emprunte le chemin balisé du couple, du lien conjugal. La passion amoureuse se fait aigreur, la névrose et la paranoïa gangrènent leurs rapports.

Ils n’ont pas de prénom. Il est « mon mari », vocable répété à l’envi comme une incantation magique. La narratrice détaille son quotidien tout entier déterminé par la relation à celui-ci.  Elle guette les preuves de désaffection, refuse l’idée que la passion décline avec le temps. Au fil des pages, Maud Ventura tisse un suspens intense, distillant avec art tension et malaise croissant. Elle interroge la notion de couple, remet en question la convention du mariage afin de mieux décortiquer les rouages d’une déraison, d’un sentiment qui tourne à l’obsession. 

L'héroïne imaginée par Maud Ventura est hantée par le doute. Ses angoisses se traduisent physiquement par d’intenses démangeaisons le soir avant de s’endormir. Dévorée par les compulsions, elle est devenue maîtresse en manipulations diverses. Les pièges tendus à son mari se révèlent stratégie défensive contre elle-même. Hormis les excès de sentiment amoureux dont elle cherche à dissimuler les manifestations, ils forment un couple uni aux yeux de tous. Ils cochent toutes les cases des normes sociétales et se plient volontiers aux figures imposées d’une vie bourgeoise sans aspérités, considérée comme épanouie. L’apparence du bonheur conjugal cache un enfer intime, un cauchemar angoissant jusqu’au sordide. La narratrice vit dans une angoisse permanente, résistant au vertige de provoquer la catastrophe. La tentation du dérapage jusqu’au bout. Un roman épatant !
 
Mon mari - Maud Ventura - Editions L’Iconoclaste



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.