Lundi Librairie : Le fleuve des rois - Taylor Brown

 

Un an après le décès accidentel de leur père, deux frères, Lawton et Hunter descendent en kayak le fleuve Altamaha jusqu’à son embouchure où ils disperseront les cendres. Au fil des paysages traversés, Hunter, le frère cadet, étudiant, ancien espoir sportif, se laisse peu à peu envahir par les souvenirs d’enfance, les légendes d’une créature vivant dans les flots, héritées des populations amérindiennes décimées. Lawton, l’aîné, un soldat des troupes d’élites d’intervention de la Navy, trouve suspecte la mort du vieil homme, gardien chenu du fleuve, et profite du périple pour se renseigner. En 1564, trois navires français rejoignent le Nouveau Monde. A leur bord, des troupes armées d’explorateurs chargées de trouver de l’or pour le roi Charles IX, et Jacques Le Moyne de Morgues, cartographe du roi et dessinateur et de nombreux colons huguenots fuyant les Guerres de religions. Ils établissent le fort Caroline sur la côte de la Nouvelle-France auprès du fleuve. Si les premiers contacts avec les autochtones, les Timucuans sont plutôt cordiaux, la rapacité des Français et leurs exigences vont changer la donne. A la fin des années 1980, Hiram Loggins, vétéran du Vietnam, pêcheur de crevettes, ne recule pas devant les petits arrangements et complète ses revenus par la contrebande et le trafic de drogue. Il perd son tout premier bateau confisqué par la DEA lors d’une descente. Désormais contraint de travailler pour les autres, il s’aigrit. Mais il finit par mettre suffisamment d’agent de côté pour racheter un crevettier. Il a beau avoir fait sa vie, une femme, deux enfants, il veut devenir riche pour être à la hauteur de sa maîtresse, une rousse incendiaire de la bonne société, mal mariée, dont le goût pour les mauvais garçons l’a jeté dans les bras d’Hiram.

Ecrivain né en Géorgie, imprégné de l’histoire de cette région et de ces mythes vivaces, Taylor Brown entremêle avec art trois récits profondément ancrés dans leur pays. Un puissant souffle romanesque traverse « Le fleuve des rois », oeuvre ambitieuse et généreuse portée par un beau talent de conteur. L’évocation sensuelle de la nature du Sud des Etats-Unis embrasse la mélancolie d’une terre marquée par la violence de la colonisation, la destruction des écosystèmes par l’activité humaine. A travers ce roman fleuve, l’auteur interroge la place de l’homme dans la nature et son rapport à l’environnement, sa propension à la destruction.

Le long de l’Altamaha, Taylor Brown alterne trois époques. Le XVIème siècle et le foisonnement sauvage du Nouveau Monde, prend forme grâce aux recherches historiques minutieuses de l’auteur menée en amont et auxquelles la dimension fictionnelle donne chair. La fin des années 1980 convoque la fin du rêve industriel américain, le tarissement des ressources naturelles victimes de la pollution qui détruit irrémédiablement la nature et les hommes. Aujourd’hui, demeurent le marasme économique, des populations sans emploi marginalisée, une terre et un fleuve empoisonnés. 

Taylor Brown parvient à saisir la splendeur dévastée des espaces naturels. Il capture l’atmosphère de mystère de sa terre natale. Ses mots disent la silhouette des cyprès millénaire, la vie secrète des flots, les marécages. La mélopée de ses descriptions exalte la beauté de la nature malgré la pollution industrielle et les eaux toxiques. En contrepartie, les hommes, porteurs d’une terrible violence, sont rarement présentés à leur avantage. Ils sont souvent cruels, veules, cupides, déloyaux, arrogants. Taylor Brown sonde la psyché de ses personnages complexes et rudes, fait affleurer les traumas, ressurgir les failles et les tragédies intimes, les fêlures. Il parle aussi des générations d’homme, histoire de filiation difficile, transmission d’une forme de masculinité toxique, l’incapacité à exprimer des sentiments qui conduit à la frustration, à la rage. Imaginaire fécond, prose envoûtante, précision et intensité, Taylor Brown laisse le fleuve emporter les plus terribles secrets.

Le fleuve des rois - Taylor Brown - Traduction Laurent Boscq - Editions Albin Michel - Collection Terres d'Amérique



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.