La mère d’Annie Ernaux décède le 7 avril 1986. Désarmée face au déclin et la maladie de sa mère, puis confrontée au deuil, à la mort, elle se trouve désemparée au point de ne plus parvenir à accomplir les simples gestes du quotidien. L’urgence d’écrire se manifeste pour l’aider à surmonter cet état émotionnel. Elle décide de retracer la vie et la mort de sa mère, femme au caractère affirmé, issue d’un milieu ouvrier. Quatrième enfant d’un couple très modeste en Normandie, cette dernière ne poursuit pas d’études et très jeune travaille à l’usine. Par la suite, elle épouse un homme d’une famille un peu mieux lotie que la sienne. Sa volonté de s’élever, son envie de s’en sortir, son aspiration à progresser socialement vont déterminer son évolution. Propriétaire avec son époux d’un petit café épicerie, elle devient une commerçante appréciée. Convaincue de la nécessité d’apprendre, elle pousse sa fille à faire des études. Mais la réussite de cette dernière, cause de fierté et d’incompréhension, creuse un fossé infranchissable entre les deux femmes. Veuve, elle choisit de vivre avec sa fille, son gendre et leurs enfants mais se sent exclue de leur milieu social. Elle s’installe en maison de retraite. La mémoire lui manque. Le diagnostic tombe. La vieille femme diminuée par la maladie bascule vers la démence sénile irréversible.
« Une femme », cinquième livre d’Annie Ernaux publié en 1988, marque un jalon dans l’oeuvre de l’écrivain, pendant de l’ouvrage consacré au père « La place ». Cette chronique humaine et sensible, rend compte d’une expérience à la fois intime et universelle, la perte d’un parent. La nature hybride de ce texte biographique, sociologique et historique lui confère une force particulière. Parenthèses, apartés, commentaires et réflexions ponctuent un récit ramassé aussi court qu’intense.
Chronique familiale et sociale, ce recueil de souvenirs personnels, puisés à la fois dans les archives familiales et dans la mémoire de l’autrice, sa fille, déploie une mosaïque d’instantanés pour recomposer la banalité signifiante du quotidien. Annie Ernaux retrace le parcours maternel en le replaçant dans un tableau plus vaste, celui de l’histoire de la société. Ainsi elle tente de saisir la réalité de cette femme, les facettes contrastées d’une personnalité tout en esquissant le portrait d’une certaine classe sociale.
Style épuré, plume précise, factuelle, avec une grande économie d’effets, Annie Ernaux décrypte l’ambivalence des sentiments entre une mère et sa fille ainsi que la terrible impuissance face à la vieillesse. Le récit courageux et pudique embrasse la complexité des relations, faites d’agacement et d’affection, de rejet et de tendresse, de culpabilité et d’attachement.
Annie Ernaux interroge les rapports entre la mère et la fille. L’ambivalence des sentiments réciproques se fait l’écho d’une lutte des classes intrafamiliale et du conflit des générations. L’écrivaine reconnue, enseignante, intellectuelle évolue dans un milieu bourgeois lettré. Sa mère, issue de la classe ouvrière, n’a reçu que peu d’éducation mais grande lectrice, tout au long de sa vie, aura tenté d’apprendre. Transfuge de classe marquée par une dualité inconciliable, la romancière culpabilise d’avoir honte de ses origines populaires tandis que sa mère se sent exclue du monde où évolue sa fille. L’évolution sociale d’une génération à l’autre rend le dialogue difficile, questionnant ainsi le principe de domination culturelle.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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