Expo Ailleurs : L'art aborigène, collection Pierre Montagne - Musée Paul Valéry - Sète Jusqu'au 26 septembre 2021

 

L’exposition « L’art aborigène, collection Pierre Montagne » déployée pour l’été au Musée Paul Valéry de Sète, apporte un éclairage vibrant sur la diversité d’une pratique artistique ancestrale au cœur du continent australien. Soixante-dix toiles peintes par soixante-trois artistes, parmi lesquels une majorité de femmes, illustrent avec force l’éclectisme du vocabulaire plastique en fonction des différentes régions, des communautés et d’une génération à l’autre. La notoriété internationale grandissante des peintres aborigènes semble annoncer un début de réconciliation entre les civilisations après le drame de la colonisation. Phénomène récent remontant aux années 1970, l’art aborigène sur toile est le fruit d’une prise de conscience sur fond de revendications identitaires. Le caractère politique des oeuvres, véritable affirmation d’une appartenance, embrasse la complexité d’une tradition ancestrale empreinte de spiritualité. Kathleen Petyarre, Michelle Possum Nungarrayi, Emily Kame Kngwarreye, Maringka Baker, Madeleine Purdie et bien d'autres marquent de leur signature esthétique et intellectuelle cet événement passionnant.











L’artiste aborigène est un passeur de mémoire qui incarne dans sa pratique, l’espace d’une célébration rituelle les liens d’appartenance à une terre et une histoire. Ses productions sont la représentation artistique d’une philosophie religieuse. La beauté picturale singulière incarne dans son essence même les valeurs patrimoniales des Aborigènes. L’iconographie traduit l’attachement d’un peuple à sa terre, les relations entre les mondes, invisibles pour les non-initiés. Au fil des représentations, chemins, pistes, points d’eau, sites, grottes, les peintures se révèlent cartographie sacrée d’une culture immémoriale. 

Les pictogrammes dissimulent les récits fondateurs liés à la création du monde. Le Temps du rêve, Tjukurpa en langue anangu, le mythe de la Création raconte comment les Grands Ancêtres ont façonné le continent marquant les paysages australiens de leurs empreintes autant physiques que spirituelles. Géographie des paysages mentaux, les traces codifiées de la peinture aborigène forment une grammaire visuelle précise et hypnotique de lignes sinueuses, de points, de volutes. Ces signes entretiennent la mémoire des communautés et revendiquent leur appartenance au territoire. Chez les Aborigènes, la notion de propriété n’existe pas réellement, il s’agit plutôt d’une responsabilité du clan vis à vis du lieu, de la terre où sont ancrés les esprits. 

Pierre Montagne, originaire de Teyran, s’est pris de passion pour la culture aborigène en rencontrant ces fascinants artistes. Touché par leur histoire tragique autant que par l’expression de leurs talents, empathie d’un collectionneur envers des peuples martyrs de la colonisation, il s’est reconnu dans leurs valeurs de solidarité et de respect. L’exposition « L’art aborigène, la collection de Pierre Montagne » au Musée Paul Valéry évoque le profond attachement d’un homme pour une culture, mémoire enfouie de l’humanité.












Des grands espaces désertiques de l’Outback, au Désert Central, du bush australien, à l’Australie méridionale APY à l’Ouest, jusqu’à la Terre d'Arnhem, de la plaine de Nullarbor, aux îles Wellesley, ou l’île Kangourou, jusqu’à la région de Kimberley, l’archipel de Dampier, les peuples aborigènes nomades se sont répartis à travers tout le continent en petits groupes autonomes. Chaque clan a développé sa propre langue, ses traditions, ses lois. Plus ancienne culture vivante au monde, il n’existe pourtant aucun vestige architectural de la civilisation aborigène, vieille de près de soixante-cinq mille ans, sans interruption malgré la brutalité de la colonisation. Tandis que les dessins de la grotte de Lascaux, redécouverte en 1940, datent de dix-sept mille ans, des dessins gravés aborigènes remontant à trente mille ans ont été retrouvés en Australie. Plus surprenant, il existe de nombreux exemples d’art rupestre au cœur des grandes villes dans les parcs publics comme au Parc national Ku-ring-gai Chase à Sydney. Dans le Territoire du Nord, les Parcs nationaux d'Uluru-Kata Tjuta et de Kakadu ont été classés au patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco. 

La modernité représente un défi pour une expression artistique essentiellement éphémère dans sa forme originelle. A l'exception des peintures rupestres, des pétroglyphes, dessins gravés dans la pierre, la plupart des œuvres aborigènes, créées à l’occasion d’une Corroboree, disparaissent à la suite de cette cérémonie commémorative. Les pigments naturels utilisés pour peindre, ocre, craie blanche, argile verte, charbon, se dissolvent naturellement sous l’effet des intempéries, pluie, vent, soleil. Les rituels ouvrent le champ des interactions avec le Temps du rêve par les danses, les chants, la musique, les costumes, les peintures corporelles, les dessins sur le sable, les peintures végétales au sol ou sur l’écorce des arbres. Vecteurs de la sagesse ancestrale transmise durant des millénaires, seuls les initiés sous l’influence des esprits qui les guident ont l’autorisation de tracer les symboles graphiques indissociables d’une vision holistique du monde. 










Modernité plastique, esthétique puissante, l’œil occidental trouve des similitudes troublantes entre l’art aborigène et les grands mouvements, impressionnisme, pointillisme. Les motifs des peuples d’Australie suivent des itinéraires totémiques, dans un foisonnement de symboles. Le répertoire de signes reproduit les traces spirituelles laissées par les Grands Ancêtres à l’origine des lieux. Tandis que le secret avait été préservé, Arnaud Morvan, chercheur en anthropologie et historien de l’art, explique dans le catalogue de l’exposition qui se déroule au Musée Paul Valéry, la transition entamée parmi les peintres aborigènes initiés, sous la pression des colonisateurs, dans les années 1950.  

A partir des années 1970, la peinture acrylique sur toile se répand dans la communauté aborigène de Papunya, à deux-cent-cinquante kilomètres au Nord d’Alice Springs, sédentarisée de force par le gouvernement australien. Un instituteur de bonne volonté, Geoffrey Bardon fournit du matériel aux anciens nés dans les années 1920/30. Les Aborigènes trouvent ainsi le moyen de faire perdurer leur culture mais choisissent de dissimuler au regard des étrangers non-initiés les motifs sacrés en les recouvrant de lignes sinueuses, de points. 

Cette première expérience marque la naissance d’un mouvement artistique contemporain qui fascine collectionneurs et musées du monde entier. L’art ancestral transposé sur toile se détache des seules formes réservées aux rituels. Les images sacrées sont déclassifiées afin de les rendre accessibles et de les transmettre, éviter qu’elles ne se perdent. Rapidement, la pratique artistique pérenne des peuples aborigènes s’associe à des revendications identitaires politiques. Si le sens n’est pas entièrement révélé aux étrangers, des symboles reconnaissables permettent d’établir des correspondances. Constellations pointillistes, cercles concentriques, grands aplats convoquent la géographie sensible des paysages, des signes naturels, empreintes d’animaux, d’humains, celles des ancêtres aussi. Au fil des ans, plus de cinquante communautés aborigènes créent des centres d’art où les artistes trouvent à disposition des moyens matériels.









Entre tradition et modernité, les nouvelles pratiques posent la question de la place des artistes aborigènes dans le monde contemporain. Du sable à la toile, la spiritualité ancrée dans cet art a muté, dans les années 1970, en manifeste politique pour la reconnaissance des peuples aborigènes, l’une des dernières cultures nomades de chasseurs cueilleurs. Désormais, le succès que rencontre toute une génération de jeunes artistes donne une appréciation plus économique de l’art aborigène. Avec l’influence mondialisée, les œuvres tendent dans une dynamique de créativité et de rupture vers une codification, une abstraction amplifiée qui conserve la trace du nomadisme et des songes sacrés. 

L’art aborigène, collection Pierre Montagne 
Jusqu’au 26 septembre 2021

Musée Paul Valéry 
148 rue François Desnoyer - 34200 Sète
Tél : 04 99 04 70 00
Horaires : Du 1er avril au 31 octobre, ouvert tous les jours de 9h30 à 19h - Du 4 novembre au 31 mars, ouvert tous les jours, sauf le lundi de 10h à 18h
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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.