Lundi Librairie : Journal amoureux 1951-1953 - Benoîte Groult et Paul Guimard

 


De 1951 à 1953, Benoîte Groult et Paul Guimard prennent chacun à leur tour la plume dans un journal intime à quatre mains. Ils se promettent de pas lire ce qu’écrira l’autre. Le prérequis est vite transgressé pour entamer une sorte de dialogue amoureux savoureux, piquante chronique conjugale. Le couple se lance dans cette expérience à l’initiative de Paul Guimard. Il souhaite ainsi que Benoîte Groult prenne confiance en sa plume, sa capacité à devenir écrivaine. Qu’elle ose enfin se lancer. Le journal en tandem évoque les premières années de leur vie commune. Les dîners en ville, et autres mondanités du jeune couple en vue alternent avec les escapades dans leur maison de campagne à Valmondois. La bicoque est dépourvue de tout confort, sans eau courante, ni sanitaires. Les enfants l’adorent. Benoîte se pique de jardinage, tandis que Paul dépourvu d’appétence pour les tâches quotidiennes se laisse porter. Ils lisent, ils s’ennuient, ils font valoir leurs convictions, se chamaillent et se réconcilient par missives interposées.

« Journal amoureux 1951-1953 » est un manuscrit mis de côté par ses auteurs, un inédit à quatre mains, oublié dans une malle et désormais exhumé par Blandine de Caunes, la fille de Benoîte Groult. Elle signe une préface qui en éclaire le propos et la démarche. Il s’agit en réalité d’un faux journal écrit d’après souvenirs. Dans l’exercice de la confidence, le recueil mêle le vrai et le faux, la mauvaise foi de la mémoire et l’incertitude des réminiscences. Drôle et érudit le texte reconstitue une intimité avec pudeur, une distanciation rendue possible grâce à un subterfuge. Benoîte Groult et Paul Guimard prétendent que le journal a été écrit entre 1951 et 1953 alors que les deux écrivains entament sa rédaction à partir de 1959. 

Au retour d’un tour du monde sur un yacht en compagnie de Maurice Solvay, homme d’affaires belge, et son épouse Josette Day, actrice de « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau, ils ont l’idée de cette farce littéraire comme pour se désennuyer d’un retour au quotidien banal. Paul Guimard, journaliste et écrivain, prix Interallié en 1957 pour son roman « Rue du Havre », futur auteur en 1967 du roman « Les Choses de la vie », scénariste en 1970 de l’adaptation au cinéma de Claude Sautet, plus tard conseiller culturel pour François Mitterrand à l’Elysée, est peu familier avec le concept du journal. Il comble souvent son manque d’inspiration par des poèmes de son cru, des analyses caustiques révélatrices de sa légendaire indépendance d’esprit. 

Benoîte Groult, quant à elle, vient d’une famille de diaristes enragés. La pratique du journal intime lui est familière depuis l’enfance. Elle a signé en 1958 un « Journal à quatre mains » avec sa sœur Flora Groult. Ensemble, elles vont écrire trois livres. Leur mère Nicole Groult, sœur du couturier Paul Poiret, intime de Marie Laurencin, leur a légué en héritage un goût pour la liberté, l’audace et la créativité. 

Le livre dresse en filigrane le portrait d’une époque, à la sortie de la guerre, tableau condensé d’un certain microcosme parisien, bourgeois aisés et intellectuels de gauche. Ensemble, Benoîte et Paul racontent l’intime avec pudeur, leur quotidien de couple, la modernité d’une famille recomposée. A travers ces instantanés de vie a posteriori, sens du détail piquant, humour féroce, fantaisie délicieuse, leurs échanges éclairent les changements sociétaux, l’évolution des rapports hommes/femmes.

Venue tardivement aux lettres bien qu’ayant écrit toute sa vie, ce manuscrit que Benoîte Groult débute avec Paul Guimard lui donne l’élan nécessaire pour se consacrer à ses propres textes. Le « Journal amoureux 1951-1953 » donne à comprendre les préludes d’un engagement, les débuts de la future grande romancière, la féministe en devenir qui mettra son talent au service de cette cause. 

Journal amoureux - 1951-1953 - Benoîte Groult et Paul Guimard - Présenté et préfacé par Blandine de Caunes - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.