La Bourse de Commerce, ancienne halle au blé du XVIIIème siècle, écrin réinventé désormais dédié à l’art du XXIème siècle, ouvre tout juste ses portes au public. Ce nouveau musée parisien privé est le troisième établissement culturel destiné à présenter la Pinault Collection après les vénitiens Palazzo Grassi et Punta della Dogona. L’homme d’affaires François Pinault, sixième fortune française, vingt-septième mondiale, appartient au club très fermé des dix plus grands collectionneurs d’art contemporain au monde. A la Bourse de Commerce, les expositions inaugurales rassemblées sous le titre « Ouverture » reflètent la diversité des pratiques, des esthétiques, des démarches. Cent-cinquante œuvres composées par trente-deux artistes seront présentées par vagues successives. Dans un mouvement d’une fluidité fascinante, les pointures du marché, Rudolf Stingel, Urs Fischer, Félix Gonzàlez-Torres, David Hammons, Berenice Abbot, Cindy Sherman, Martial Raysse, Peter Doig, côtoient de nombreux jeunes artistes émergents, Antônio Obá, Ser Serpas, Lynette Yiadom-Boakye, Florian Krewer, pour ne citer qu’eux. Ces vastes ensembles illustrent le goût d’un collectionneur, ses choix personnels, son regard et ses convictions. Ses contradictions également. Ils attestent des relations étroites et suivies avec les artistes. Depuis plus de cinquante ans, François Pinault cultive sa collection, près de dix mille œuvres conçues par trois-cents-quatre-vingt-deux artistes, comme un instrument de connaissance et de réflexion sur le monde.
La durée des accrochages monographiques ou thématiques n’excèdera pas une année. Afin de renouveler sans cesse la proposition, invitations et commandes à des artistes seront lancées. Programmation évolutive, en mouvement, les expositions inaugurales ont été rassemblées sous le titre « Ouverture ». La Bourse de Commerce ouvre des accès inédits vers le travail de trente-deux artistes d’horizons très variés, de toutes les générations, embrassant toutes les disciplines.
Le tableau « Ici plage, comme ici-bas » (2012) de Martial Raysse ouvre le bal dès l’entrée. Dans la cour intérieure, brûle une curieuse oeuvre bougie. « Untitled » 2011/2020 de l’artiste suisse Urs Fischer est une reproduction en cire imitant l’apparence du marbre de la statue idu XVIème siècle, « L’Enlèvement des Sabines » de Giambologna. La mèche à combustion lente entraîne un processus de destruction tandis que fond la statue. Cette installation éphémère qui procède du protocole, interroge l’impermanence des choses et la finitude de la condition humaine. Selon les prévisions, elle devrait mettre six mois à disparaître tout à fait. Conçus selon le même procédé, sièges d’avion, chaises de bureau, fauteuils et bancs traditionnels du Burkina Fasso disparaissent lentement sous l’œil inquisiteur d’un portrait en pied et en cire de l’artiste Rudolf Stingel, ami de Fischer, lui aussi en train de fondre.
Sur la promenade de la rotonde, les ready-made de Bertrand Lavier ont investi les vitrines restaurées datant de l’Exposition universelle de 1989. Pop et joyeux, familiers et pourtant étranges, ils interrogent la société de consommation. Dans un espace consacré, une trentaine d’oeuvre de l’artiste David Hammons, figure majeure du Black Arts Movement développent une réflexion aigue sur l’histoire de l’Amérique, la condition des Africains-Américains hier et aujourd’hui, les stéréotypes, les discriminations. Le plasticien a reproduit une cellule du couloir de la mort, la prison de Saint Quentin, la seule habilitée à appliquer la peine de mort en Californie, expérience glaçante.
Au premier étage le cabinet de photographie met à l’honneur la « Pictures Generation », des années 1970-80. Richard Prince, Sherrie Levine, Cindy Sherman travaillent sur les récupérations, les appropriations et les performances. Par leur démarche alternative, mise en scène de soi avec Cindy Sherman et Martha Wilson, fluidité du genre avec Michel Journiac, ils proposent de décrypter le pouvoir de l’image, d’analyser les influences radicales des médias de masse.
L’installation photographique de Louise Lawler, « Helms Amendment », quatre-vingt-quatorze photos d’un gobelet en plastique revendique un engagement politique sur le principe du « name and shame ». Chaque cliché est légendé par le nom de l’un des quatre-vingt-quatorze sénateurs américains, ayant voté en 1987, l’amendement proposé par le sénateur James Helms, afin de refuser d’allouer des fonds fédéraux pour les actions de prévention, d'éducation, d'information contre le sida, sous prétexte que ces dotations auraient pu encourager la toxicomanie et l’homosexualité. L’amendement voté à l’unanimité à l’exception de six sénateurs, quatre abstentions et deux votes contre.
Au deuxième étage, les visiteurs sont accueillis par les pigeons de Maurizio Cattelan. Parmi les nombreuses peintures, les sculptures chaises de Tatiana Trouvé se dispersent tout au long du parcours. Les portraits lumineux de Claire Tabouret entrent en écho avec les vaporeux visages inquiets de Luc Tuymans ou bien les « Skulls » et fantômes de Marlene Dumas. Sensualité des traits, lumière douce et contours simples, Xinyi Cheng puise l’inspiration dans le quotidien des rencontres humaines, les situations banales poétisées par le regard sensible de l’artiste.
La pratique picturale de Kerry James Marshall s’inscrit comme l’un des éléments d’un ensemble plus vaste d’expressions plastiques, photographie, dessin, sculpture, installation, collage, vidéo, gravure, cinéma d’animation. Sa démarche esthétique soutenue par un discours politique fort abordent les problématiques historiques, sociales et raciales de notre temps. Dans une dialectique de l’absence et de la présence, il aborde la question de la représentation des Africains-Américains dans l’imaginaire collectif et artistique américain, l’invisibilisation de l’homme noir.
Antônio Obá s’attache également à rendre visible les corps noirs. Il fait partie des jeunes artistes émergents de la collection Pinault. Un groupe auquel appartient aussi Ser Serpas, artiste transgenre née en 1995 à Los Angeles, dont les images brutes posent la question de la féminité. Peinture figurative, expressivité narrative, palette chromatique affirmée, Lynette Yiadom-Boakye porte son regard sur l’humanité vibrante des visages. Florian Krewer, élève de Peter Doig, scrute les populations des milieux urbains, entre tension et vulnérabilité des corps, visages sombres presque effacés. Les univers étranges de Thomas Schütte rejoignent ceux de Martin Kippenberger dont le « Paris Bar » semble si réjouissant pour nos yeux privés de ce type de lieu depuis si longtemps.
La Bourse de Commerce programmera des partenariats hors les murs auxquels prendront part le Studio du Fresnoy à Tourcoing, le Mucem à Marseille, la BNF à Paris, le Couvent des Jacobins de la ville de Rennes.
Bourse de Commerce2 rue de Viarmes - Paris 1
Tél : 01 55 04 60 60
Horaires : Ouvert du lundi au dimanche de 11h00 à 19h00 - Nocturne le vendredi jusqu’à 21h00 - Le premier samedi du mois, nocturne gratuite de 17h à 21h - Fermé le mardi
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