Lundi Librairie : Chems - Johann Zarca

 


Zède, trentenaire, pigiste pour la presse branchée, spécialiste des sujets underground, fréquentait assidûment les milieux interlopes de la nuit parisienne. Depuis la publication de deux livres-enquêtes à succès, il s’est plutôt rangé. Il vit avec Mia, petite main du monde de l’édition reconvertie en infirmière. Ils ont un fils de deux ans. Elle attend leur deuxième enfant. Le dimanche, le couple déjeune avec les parents. En quête de nouveaux sujets, Zède rencontre Jérôme Dumont, artiste homosexuel qui s’est fait connaître à la fin des années 1990.  A l’époque, sa carrière a pris fin brutalement à la suite de polémiques concernant ses positions au sujet des pratiques du bareback, rapports sexuels sans protection. Reconverti en masseur à domicile, Dumont mène une vie étrange, obnubilé par des pratiques extrêmes et le chemsex, le sexe sous drogue de synthèse. Il initie Zède qui se laisse rapidement convaincre. Mais pour le journaliste, après l’éblouissement des premières expériences, de l’extase sexuelle décuplée au-delà de l’imagination, cette pratique devient une véritable obsession. Habité par une compulsion maladive qui le possède au point de tout risquer, sa famille, son travail, sa vie même, Zède assume sa déchéance avec avidité. 

Histoire d’une descente aux enfers, « Chems » aborde le sujet de ce nouveau phénomène de société bien connu des associations LGBTQI+ avec un réalisme troublant. Johann Zarca travaille à la frontière des genres, gonzo, imaginaire pur. Il cultive le trouble, la confusion entre réalité et fiction. Sous sa plume, l’univers des chemsexeurs se révèle sans fard, dans la plus terrible crudité. Par l’âpreté du tableau, la rapidité de la chute de Zède, de la déchéance, le romancier engage une réflexion sur le chemsex, pratique dangereuse du sexe sous influence. 

Carnet de bord rédigé à la première personne, « Chems » embrasse les méandres d’une psyché de plus en plus troublée. Fasciné par la découverte d’une jouissance sans limite, Zède part à la dérive. Il s’enferme dans obsession, une soif inextinguible de plaisir et de drogue. Avec une minutie cruelle, Johann Zarca formule le délitement physique, le corps qui souffre et s’abime. Par l’évolution de l’écriture, il traduit l’aspect psychologique, la redoutable mécanique de l’addiction. Isolement, agressivité, paranoïa, déni, Zède ne parvient pas à dépasser l’emprise psychologique malgré le soutien de ses parents, de sa femme. Il ressent de moins en moins d’empathie envers ceux qui l’entourent. Le style est précis, d’une rare efficacité. Au fil du récit, le langage se fait plus cru, les chapitres plus courts. Les mots même provoquent une nausée, un vertige, celui de la terrible bascule.

Association des psychotropes et du sexe, la tendance du chemsex est née dans la frange de la communauté homosexuelle qui fréquente les clubs, les backrooms, les partouzes et pratique un libertinage débridé. Ces conduites à risques éclairent un certain culte de la performance et l’impact de la pornographie sur la sexualité. Dans ce microcosme, la prise de produit, la désinhibition qu’elle engendre, permet de dépasser les blocages liés à l’insécurité, l’homophobie intériorisée, le manque de confiance en soi, la peur de l’intimité, celle d’être rejeté. Les tabous sont levés. Le lâcher-prise total. Consommation compulsive d’autres êtres humains. Ces nouveaux narcotiques, drogues de synthèse associées à d’autres produits stimulants, censés décupler le plaisir, mèneraient bien plus sûrement à une addiction fatale et une complète déconnexion. Ce fléau moderne fait de nombreuses victimes parmi ses adeptes, overdose, prise de risques, transmission de maladie, absence de consentement. L’inquiétude face au phénomène ne cesse de croître. Les associations tirent la sonnette d’alarme. Zarca lève le voile sur un monde d’effroi et de stupre effréné. Aussi troublant que dérangeant.

Chems - Johann Zarca - Editions Grasset



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.