Cinéma VOD : Le Blues de Ma Rainey, d'après la pièce d'August Wilson, un film de George C. Wolfe - Disponible sur Netflix


En 1927, à Chicago, la diva du blues, Ma Rainey doit enregistrer de nouveaux morceaux dans les studios de Paramount Records. La reine du sud, personnalité frondeuse, voix puissante, présence indéniable fait attendre tout le monde. Les musiciens en salle de répétition s’échauffent. Levee, jeune trompettiste ambitieux à qui le producteur a promis monts et merveilles, tente de nouvelles intros afin de rendre les morceaux plus dansants, plus commerciaux selon les souhaits du patron du studio. Mais quand Ma Rainey arrive enfin c’est pour imposer son talent, sa force de caractère et ses vues sur la musique. Sous couvert de différends artistiques avec son agent et le producteur, des enjeux bien plus profonds sont à l’oeuvre. Histoire d’une femme noire qui tient tête à deux hommes blancs, chronique de l’Amérique des années 1920 et du racisme latent. Les musiciens africains-américains, sous-payés, sont exploités par les studios. Ma Rainey exige le respect et que tous se plient à sa loi. La colère, les traumas affleurent alors que les esprits s’échauffent. 







Le réalisateur George C. Wolfe, dramaturge, metteur en scène et cinéaste signe l’adaptation cinématographique d’une pièce d’August Wilson (1945-2005), « Ma Rainey’s Black Bottom », dont le titre original qui fait référence à l’une des plus célèbres chansons de l’artiste et à une danse. Elle appartient au « Pittsburgh Cycle » série de dix pièces témoignant de la condition des Africains-Américains au XXème siècle pour lesquelles l’auteur a reçu deux prix Pulitzer. Cette production ambitieuse, engagée par Denzel Washington et Tom Black pour Netflix, vient interroger depuis les années 1920 les problématiques contemporaines irrésolues. 

Les discriminations raciales, racisme institutionnalisé, les crispations semblent toujours d’actualité. La ségrégation engendre une violence terrible, physique mais également psychologique de tous les instants. En abordant, le sujet de la création musicale et la difficulté pour les artistes de parvenir à préserver leur identité, avec intelligence, le film questionne l’appropriation culturelle, l’exploitation des artistes noirs par des producteurs blancs. En pleine prohibition, la religion, les interdits modèlent une société hypocrite, d’opportunistes duplices. La bande originale signée Brandford Marsalis, saxophoniste aux deux Grammy Awards, redonne vie à la période avec panache.

Gertrude Ma Rainey (1886-1939), surnommée « la mère du blues », avant-gardiste aux racines rurales profondément inscrite dans la terre du Sud, a su entretenir longtemps une véritable aura auprès d’un vaste public. Figure majeure du courant musical, son apport avait pourtant été oublié. Elle a été l’une des premières artistes noires à se produire sur les grandes scènes. Icône queer à la bisexualité assumée, elle a toujours fait face. Mais la qualité médiocre des enregistrements de sa voix ont fait pâlir son étoile, éclipsée dans la mémoire collective par sa cadette, Bessie Smith qu’elle a formée. 



Montage nerveux, fébrilité d’un huis clos étouffant, le réalisateur a préservé une dimension théâtrale. Il traduit en images l’énergie malgré ce décor de ville écrasée de chaleur, la sensualité, le bouillonnement créatif. La densité des mots et de l’incarnation, l’intelligence du texte et des joutes verbales soulignent le travail des acteurs. Leur performance collégiale est remarquable. Avec une rare justesse d’interprétation, Viola Davis, méconnaissable dans le rôle de Ma Rainey, maquillage charbonneux, dents recouvertes de métal, livre âpre et puissante toute l’outrance du personnage et la profondeur de sa vérité intime. Ultime rôle de Chadwick Boseman, l’interprète de Black Panther disparu prématurément l’été dernier, Levee incarne une forme de rébellion. Il puise sa force dans la colère, le trauma d’un drame familial. Dans une scène cathartique terrible et magnifique, il fait rejaillir cette terrible douleur. 

Film hanté, « Le Blues de Ma Rainey » éclaire la radicalité de ces artistes, leur fragilité et leur puissance, le désespoir de leur condition et la force de leur talent. Une oeuvre émouvante, une interprétation épatante.

Le Blues de Ma Rainey, de George C. Wolfe
Adaptation de la pièce d’August Wilson
Avec Viola Davis, Chadwick Boseman, Glynn Turman, Colman Domingo, Michael Potts, Taylour Paige, Jonny Coyne, Jeremy Shamos, Dusan Brown



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.