Tailleur réputé de Relizane, ancien combattant de la Première Guerre Mondiale, Marcel Elkaim s’est marié sur le tard avec Viviane sa cadette de quinze ans. Elle-même couturière, elle n’est pas exactement jolie mais promet d’être une bonne mère. Ce n’est pas la passion amoureuse mais il est travailleur et sérieux. Afin de faire plaisir à sa jeune épouse, Marcel accepte de ne plus habiter avec sa mère et d’acheter un appartement. Ils ont deux fils, Pierre et Jean. A la suite de ces naissances, Viviane est rattrapée par sa nature mélancolique. La situation politique en Algérie, les soulèvements, les attentats, les attaques, les disparitions font grandir son angoisse. La grand-mère Lella supplée souvent à sa belle-fille auprès des enfants. Une nuit d’octobre 1958, Marcel est enlevé de son domicile par des hommes armés. Conduit dans un campement au milieu du désert, il pense sa dernière heure arrivée. Mais une mission l’attend. Durant trois jours, il taille des costumes pour les responsables du FLN. Il est ensuite libéré, indemne, avec la promesse de se taire et d’engager comme apprenti Reda, le neveu de l’un des chefs. Lorsqu’il rentre chez lui Marcel demeure muet et refuse, pour les préserver, de répondre aux questions de ses voisins comme de sa famille. La suspicion l’entoure. Ses anciens amis se détournent de lui. Mais alors que la Guerre d’Indépendance fait rage et que la situation se dégrade, Marcel est désormais protégé, averti à l’occasion de rester chez lui lors de nuits sanglantes. Jusqu’au soir de 1962, où un appel lui intime l’ordre de partir, de tout quitter, tout abandonner et de fuir en France. Un long chemin d’exil débute pour lui et sa famille, une nouvelle existence sur fond de déracinement en Métropole dans un pays qui rejette ces « pieds-noirs » venus d’ailleurs.
Pour renouer les liens à travers les générations, l’auteure embrasse la figure de son grand-père, Marcel, personnage tragique et magnifique, incarnation de ce courage, du déchirement, de l’abnégation. La trajectoire d’exil au niveau de l’individu et de la famille éclaire le drame humain et politique vécu en Algérie. Olivia Elkaim pose des mots sur ces existences, redonne ses couleurs au pays perdu, désormais disparu, témoignage vivant d’une vie quotidienne, celle d’avant. Elle raconte les années de bonheur mais aussi celles de la peur puis celles de la misère extrême, du rejet.
En plongeant dans ses racines redécouvertes, la romancière ausculte cette identité juive algérienne qu’elle avait mise de côté. Pudeur sensible, sans pathos, avec lucidité, elle dit la complexité de la situation rendre hommage à ses ancêtres. Forcés de quitter l’Algérie à la suite de l’Indépendance, contraints au départ précipité depuis Oran en 1962, Marcel et Viviane, ses grands-parents, vivent l’exil en France où ils sont rejetés, en réprouvés. Ils ne reçoivent aucune aide administrative, sont même spoliés des maigres biens qu’ils avaient emporté dans leur fuite, dépouillés de toute leur existence, tout ce qu’ils avaient construit.
Texte intensément romanesque, hanté par le souvenir, « Le tailleur de Relizane » livre un témoignage précieux entre deux rives sur l’arrachement de l’exil, la douleur de la fuite, le chaos et l’injustice dont les Juifs d’Algérie ont été victimes. Un très beau roman familial.
Le tailleur de Relizane - Olivia Elkaim - Editions Stock
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