Lundi Librairie : La Société des Belles Personnes - Tobie Nathan

 


François Zohar, diplomate paisible, enterre un père qu’il n’a pas connu, celui-ci ayant abandonné sa mère peu de temps après sa naissance. Ils ont renoué le contact en 2014, mais Zohar, le secret, quatre-vingt-neuf ans, et François le discret presque cinquante, n’ont pas su se parler. François s’interroge sur l’étrange personnage qu’était son père. Afin d’être en mesure de réciter pour lui la prière des mots, le kaddish, il décide de mener l’enquête pour éclairer les zones d’ombre d’une existence mystérieuse. François se rend à Neuilly chez Livia Iacopetti, amie de longue date de Zohar, mémoire vive, pour écouter le récit d’une existence et découvrir le destin tragique de ses propres ancêtres. Sous le protectorat anglais, Zohar Zohar, l’enfant chéri du quartier Haret el-Yahoud, le ghetto du Caire, la ruelle aux Juifs, connaît un succès flamboyant grâce à ses clubs fréquentés par les élites huppées. En 1952, la révolution des « Officier libres » menées par le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser renverse le roi Farouk. Au cours de cette indépendance, la montée des Frères Musulmans, l’influence des anciens Nazis infiltrés dans l’armée égyptienne entraîne la stigmatisation des Juifs d’Egypte et les persécutions se multiplient. Protégé par une mystérieuse confrérie secrète, la Société des Belles Personnes, Zohar poursuivi par un ex-officier SS Dieter Boehm, parvient à fuir vers Naples avant de s’embarquer pour la France. Là, il se choisit une nouvelle famille de cœur, d’inconsolables orphelins, rescapés des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, Aaron du ghetto de Wilmo, Lucien, français résistant torturé par la Gestapo, Paulette survivante de la Shoah, hantés par les figures de leurs tortionnaires, animés par la passion de la vengeance, font la chasse aux Nazis à travers l’Europe. 

Ethnopsychiatre, chroniqueur à Philosophie Magazine, romancier, Tobie Nathan se fait observateur de son temps. Oeil affûté, il entraîne le lecteur dans une grande traversée de l’Histoire et convoque le destin tragique des Juifs d’Egypte. Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, l’armée anglaise qui combat au Moyen-Orient est postée en Egypte où ces soldats étrangers sont considérés comme des occupants. Les Egyptiens font appel aux Allemands afin de les aider et les Juifs d’Egypte deviennent peu à peu des parias. Cet antisémitisme larvé prend encore plus d’ampleur au lendemain de la chute du roi Farouk. En 1957, Nasser proclame les Juifs « ennemis de l’Etat ». Toute une communauté est contrainte à l’exil, sans retour possible.

Tobie Nathan raconte l’histoire d’un homme déraciné qui n’a d’autre choix que se réinventer ailleurs. Cette renaissance ne saurait être complète sans le devoir de mémoire. Pour accéder à la liberté, il est nécessaire d’inscrire son avenir dans le prolongement du passé. Par l’exercice de l’écriture, le romancier partage la mémoire intime et collective car rien ne peut se construit sur l’oubli. Il dit la colère des peuples manipulées par les démagogues, la déconnexion des élites. 

Par ces mots, Tobie Nathan redonne vie à un monde disparu. Il retranscrit dans la plénitude des sens l’atmosphère du quartier juif du Caire avant la crise du Canal de Suez de 1956, ses contes, ses djinns et la puissance du destin. Les pages du roman sont peuplées de magnifiques personnages féminins, la sublime Kudiya, maîtresse des esprits, l’altruiste Livia, ancienne prostituée, la brillante Thalia, journaliste et espionne, Marie, la mère de François. Sur les pas de Zohar, le Paris des années 1960 retrouve ses couleurs et ses incertitudes.

Réflexion sur la vengeance, l’honneur, la dette, « La Société des Belles Personnes » parle du poids de l’héritage et de ce qu’on en fait. Cette épopée, souffle romanesque puissant, donne à penser le monde celui d’hier et d’aujourd’hui et le terrible destin des Juifs d’Egypte au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.

La Société des Belles Personnes - Tobie Nathan -  Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.