Ailleurs : Cité Internationale de la Tapisserie à Aubusson, six siècles de tradition et création contemporaine au coeur


La Cité Internationale de la tapisserie à Aubusson célèbre la réinvention d’un art pluriséculaire dont le dynamisme se traduit notamment par l’engagement des artistes contemporains. Au sein de ce lieu unique, la diversité des propositions trouve sa pleine expression dans une approche muséographique pédagogique et ludique. Collections permanentes, expositions temporaires exceptionnelles et ateliers thématiques se complètent pour un tour d'horizon inspiré. L’inscription des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2009 a donné l’impulsion nécessaire à la création de la Cité Internationale de la Tapisserie. Inaugurée le 18 juillet 2016, l'institution singulière ambitionne de faire rayonner cet art textile présent à Aubusson depuis le XVème siècle. Musée, centre de formation des artisans, résidence d’artistes, elle se donne pour mission de préserver un savoir-faire de renommée mondiale. Afin de sensibiliser les nouvelles générations, la Cité Internationale de la tapisserie mène des projets d’envergure qui empruntent leur iconographie aux nouveaux héros de l’imaginaire collectif contemporain comme Tolkien ou Miyazaki. Les savoir-faire valorisés confèrent une dimension particulière à l’oeuvre de transmission des techniques. Les collections enrichies au fil du temps et des acquisitions se déploient au gré de parcours inédits. Les expositions organisées au musée soulignent le retour en faveur de la tapisserie auprès des artistes ainsi qu’un regain d’intérêt du public. La Cité Internationale de la tapisserie soutient les ateliers de la région par des commandes grâce à la création d’un Fonds régional pour la création contemporaine ainsi que de nombreux mécénats prestigieux. Des appels à projets sont lancés chaque année. La tapisserie d’Aubusson plus que jamais demeure un art vivant. 









Capitale de la tapisserie de basse lisse, la ville d’Aubusson dans la Creuse perpétue l’art textile de la tapisserie depuis six siècles. La qualité des eaux, la laine des ovins, l’activité drapière préexistante ont favorisé au XVème siècle le développement de cette pratique et l’implantation des premiers lissiers. Dès les origines, la Marche est la seule région où l’ensemble des métiers relatifs à l’art de la tapisserie filateur, teinturier, lissier, restaurateur se trouve réuni. La Cité Internationale de la Tapisserie, sous la houlette de son directeur Emmanuel Gérard, relève un triple défi économique, artistique et touristique. Le projet scientifique et culturel s’attache à la transmission d’un savoir-faire accordant une grande importance à la création contemporaine ainsi qu’à la constitution d’une collection de référence. La gestion de l’établissement a été confiée en janvier 2011 à un syndicat mixte réunissant le Conseil Départemental de la Creuse, la Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et la Communauté de communes Creuse Grand Sud. 

Le bâtiment cruciforme de Roger Danis, édifié en 1969, qui abritait l’Ecole nationale d’art décoratif a été entièrement repensé par l’agence Terreneuve, de Nelly Breton et Olivier Fraisse. Afin de réinventer un complexe de 5000m2, les architectes ont privilégié une réutilisation des éléments d’origine plutôt qu’à la destruction, ainsi qu’une une adaptation des espaces à la muséographie. Grandes lames de pin Douglas des forêts du Limousin, toile en grille polyester de 1215m2 dont le motif a été imaginé par la graphiste Margaret Gray, la façade colorée du musée évoque désormais la trame d’un métier à tisser gigantesque. 

Le musée, lieu de conservation et de diffusion des connaissances, s’engage au rayonnement la tapisserie d’Aubusson. Centre de ressources, à dimension européenne, espace de formation diplômant, plateforme de création contemporaine, résidence d’artiste, il abrite également les ateliers de restauration du Mobilier national et ainsi que des espaces professionnels où des ateliers privés de la pépinière régionale réalisent des tissages de grande envergure sur un métier long de huit mètres. 

Le riche fonds patrimonial de la Cité Internationale de la Tapisserie réunit les collections de l’ancien musée départemental de la tapisserie d'Aubusson créé en 1982, à l’initiative du Conseil général de la Creuse ainsi que les collections de tapisseries d'Aubusson et de Felletin situés dans le département de la Creuse et la région Nouvelle-Aquitaine et celles de l’Ecole nationale d’art décoratif d’Aubusson. Il regroupe près de 440 tapisseries et tapis parmi lesquels 330 tapisseries murales, une cinquantaine de pièces de mobilier tissé, 16 000 œuvres graphiques issues des collections de l’ENAD et de l’ancien Musée de la Tapisserie d’Aubusson, 4 500 maquettes et dessins, 4 000 objets techniques, 5 000 pièces en dépôt de l’ENAD, échantillons et créations au format moyen réalisés dans le cadre de la formation des élèves lissiers de l'École Nationale d'Arts Décoratifs d'Aubusson d'après des modèles des grands maîtres du XXème siècle. Ce dernier ensemble révèle filigrane toute l’histoire de l’ENAD, institution créée en 1884 ainsi que l’évolution de l’enseignement du tissage. Il est complété dans cette ligné par 600 pièces de broderie sarrasine réalisées par les élèves de l’Ecole de Jeunes Filles de l’ENAD entre 1880 et 1918.











Au sein de la Cité Internationale de la Tapisserie, le parcours pédagogique éclaire sous un angle inattendu tapisseries patrimoniales, créations contemporaines et projets prestigieux. La scénographie immersive a été imaginée par Frédérique Paoletti et Catherine Rouland. Le service pédagogique du musée travaille en lien avec les établissements éducatifs et reçoit près de 2000 scolaires par an. De nombreuses activités en famille ont été développée afin d’initier adultes et enfants à la tapisserie et ses techniques. A l’étage consacré au centre de formation dispensant un Brevet des Métiers d’art, les ateliers de lissiers mis à la disposition des artisans sont gérés par la pépinière locale afin d’accueillir les porteurs de projets. Des visites sont organisées à l’occasion de démonstrations de tissage et de restauration. Cette initiative se prolonge dans l’espace « les Mains d’Aubusson » dédié aux savoir-faire qui célèbre les gestes des artisans, peintres cartonniers, lissiers, teinturiers, restaurateurs… 

« La Nef des Tentures », vaste espace de 600m2, haut de 7 mètres, est un lieu fascinant, véritable prouesse architecturale créée en décaissant l’arrière du bâtiment à l’occasion de sa transformation. La muséographie inédite mise en place par Frédérique Paoletti et Catherine Rouland s’inspire des dispositifs scénographiques du théâtre. Les décors en trompe-l'œil, motifs peints sur des panneaux modulables, recontextualisent les tapisseries dans leur époque de conception. La mise en scène chronologique s’incarne dans un contexte décoratif complet. Le parcours d’exposition est renouvelé chaque année à l’occasion d’une rotation de l’accrochage afin d’éclairer l’ensemble du fonds permanent.

Au XVème siècle, les tapisseries Millefleurs d’Aubusson font grandir la réputation de la région. La Millefleurs à la licorne présentée dans la Nef des tentures est la plus ancienne tapisserie marchoise connue à ce jour. A cette époque et jusqu’au XVIème siècle, les créations sont caractérisées par des verdures inspirées des Flandres, dites « à feuilles de choux », « à grandes feuilles », « à feuilles renversées » ou « à aristoloches », et une abondance d’animaux souvent mythiques. Progressivement, les personnages font leur apparition afin d’illustrer des épisodes historiques, mythologiques ou bibliques.

Au XVIIème siècle, les sujets littéraires ou religieux tiennent le haut du pavée, Didon et Enée, Saint-François d'Assise, la tenture de Renaud et Armide. En 1665, les ateliers d’Aubusson obtiennent le titre de "Manufacture Royale", privilège également décerné peu après en 1689 à Felletin. Débute alors un âge d’or qui se prolonge jusqu’au XVIIIème siècle. Près de 700 artisans travaillent alors dans les manufactures de la région. Les tapisseries d’Aubusson décorent les intérieurs des grands de ce monde de sujets mythologiques ou profanes, scènes galantes, champêtres, chinoiseries. 












L’émergence des grandes manufactures donnent lieu au XIXème siècle aux premières expositions des produits de l’industrie suivies par les expositions universelles. En matière de décoration d’intérieur, le tissage d’ameublement et les tapis ont la côte. De multiples styles, néoclassique, néo-gothique, orientaliste, émergent alors suivant les nouvelles modes.

Au début du XXème siècle, l’industrie de la tapisserie est florissante mais l’Entre-deux-guerres qui tend vers la sobriété et l’économie de moyens à la suite de la crise porte un coup terrible à cette activité. En 1939, Jean Lurçat se rend à Aubusson. Acteur majeure de la renaissance de la tapisserie, il revivifie la tradition, imagine ses modèles et peint lui-même ses cartons. Inspirés par cet exemple les peintres s’intéressent à la tapisserie et confient les motifs de leurs œuvres à « des metteurs en laine », intermédiaires nécessaires à la réalisation. Les lissiers d’Aubusson adaptent les originaux avec brio. 

Dans l’espace dédié à cette époque de la Nef des teintures Georges Braque côtoie Pablo Picasso, Alexander Calder, Sonia Delaunay. La Cité internationale de la tapisserie possède la seule tapisserie reproduisant une œuvre de Man Ray, « Shadows ». Le très japonisant « Le Berger » (1978) de Thomas Galeb dialogue avec « L’ennui régnait au dehors » de Le Corbusier dont le carton a été mis au point par Victor Vasarely en collaboration avec l'architecte et le tissage réalisé par l’Atelier Picaud à Aubusson vers 1990. 













Entre 2000 et 2012, les ateliers marchois au nombre de seize disparaissent progressivement pour n’en laisser que quatre en activité. La fragilité de la filière, depuis 2016 la Cité Internationale de la Tapisserie d’Aubusson soutient la création contemporaine et oeuvre à la transmission d’un savoir-faire en péril. Les prestigieux projets événements donnent naissance à des œuvres d’envergure. En 2016, le projet « Aubusson tisse Tolkien » a été lancé à la suite d'une convention signée avec le Tolkien Estate. Une série exclusive de treize tapisseries et un tapis, tissés d’après l'oeuvre graphique originale de J.R.R. Tolkien (1892-1973) et plus particulièrement les illustrations originales du Seigneur des Anneaux, est réalisé depuis quatre ans dans les ateliers. Le prochain projet « L’imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d’Aubusson » promet de futures merveilles. 

Cœur battant de la Cité Internationale de la Tapisserie, l’espace de création contemporaine joue un rôle majeur. Les commandes mécènées sont confiées à des artistes significatifs, créateurs émergents de la jeune scène française. En 2019, « Ghost_Horseman_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt.jpg » est l’adaptation d’une oeuvre photographique en tapisserie d’Aubusson. L'artiste et réalisateur Clément Cogitore s’intéresse aux images d’actualité des émeutes de 2011 sur la place Tahrir en Égypte. Il saisit différents plans des émeutes lors du printemps égyptien pour mettre en parallèle le pixel de l’image numérique et le point de tapisserie. Le projet est soutenu par un mécénat de la Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique. La même année, « Le Bain » de Christophe Marchalot & Félicia Fortuna, une tapisserie tissée par l’Atelier Françoise Vernaudon et Anne Boissau, Nouzerines, associe laine et mobilier design. Cet hybride étrange constitue une pièce marquante de la collection. Le projet de création contemporaine en tapisserie d'Aubusson « C’est l’aube », d’après eL Seed se concrétise grâce à la mobilisation de la Cité de la tapisserie sur le marché des Émirats Arabes Unis. 

A l’occasion du centenaire de la Première Guerre Mondiale, un projet de tapisserie monumentale en partenariat avec le Comité du Monument National du Hartmannswillerkopf a été mené. « Pieta for World War I » dévoilée en 2017 et dont le motif a été imaginé par le peintre allemand Thomas Bayrle (né en 1937) scelle l’amitié franco-allemande et rend hommage aux disparus. Le tissage de cette pièce d'envergure a été confié à l'Atelier Patrick Guillot. 

Chaque année, la Cité Internationale de la Tapisserie lance un appel à création afin d’enrichir le Fonds contemporain et de soutenir l’activité des ateliers. Les œuvres réinventées en tapisserie d’Olivier Nottelet « La Rivière au bord de l’eau » (2010), de Jane Harris « Deux parterres un reflet » (2013) ou encore de Marie Sirgue « Bleue » (2016) ont rejoint les collections. La collection "Carré d’Aubusson" soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller fait contrepoint aux appels à projets monumentaux en initiant des séries d’œuvres contemporaines à l’échelle de l’habitat. Les tapisseries décoratives qui mesurent environ 3,5m2 sont destinées aux intérieurs et plus seulement aux espaces d’expositions gigantesques. Associant patrimoine, création contemporaine et développement économique, la Cité Internationale de la Tapisserie promeut et accompagne ainsi la filière de la tapisserie. 

Cité Internationale de la Tapisserie Aubusson
Rue des Arts - 23200 Aubusson
Tél : 05 55 66 66 66
Horaires d’ouverture
- Juillet et août : Ouvert du mercredi au lundi de 10h00 à 18h00 sauf le mardi de 14h00 à 18h00 - Visites guidées gratuites sans réservation à 11h00, 14h00, 15h00 et 16h00
- De septembre à juin : Ouvert du mercredi au lundi de 9h30 à 12h00 et de 14h00 à 18h00  
Fermé le mardi
Fermeture annuelle : tout le mois de janvier



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.