Expo Ailleurs : Soleils Noirs. De l’Egypte à Soulages, l’épopée de la couleur noire - Louvre-Lens - Jusqu'au 25 janvier 2021



« Soleils noirs. De l’Egypte à Soulages, l’épopée de la couleur noire » introduit le visiteur à un puissant univers sensoriel. L’exposition déployée au Louvre-Lens s’inscrit profondément dans son territoire, au cœur du bassin minier surnommé le pays noir. L’évènement se déroule à l’occasion du 300ème anniversaire de la découverte de la première veine de charbon dans les Hauts de France en 1720, il y a trois-cents ans à Fresne-sur-Escaut. Dans des paysages de terrils, marqués par cette épopée industrielle, qui a connu son apogée au XIXème siècle, « Soleils noirs » nous initie aux mystères de cette couleur qui selon les physiciens n’en est pas une, somme de toutes et absence totale. Les commissaires d’exposition, Marie Lavandier, Juliette Guépratte, Luc Pieralla, assistés d’Alexandre Estaquet, ont conçu une déambulation lumineuse afin de décrypter les rapports complexes entretenus par les artistes à cette teinte. Le parcours croise les époques. La démarche thématique permet de préserver le format presque intime des salles. Le noir, la nuit, l’obscurité laissent deviner les exaltations de la symbolique rattachée à la couleur. Les émotions comme la peur, la mélancolie, la curiosité, les grandes préoccupation existentielles, le religieux et le sacré, la mort et la résurrection, le noir est contradiction à la fois vie et mort, luxe et pauvreté, grandeur et décadence, austérité et sensualité. Le pigment lui-même difficile à produire présente un défi technique qui confère à la teinte une dimension presque alchimique. Au XXème siècle, le noir, couleur-substance démocratisée par la chimie, devient matériau de la modernité picturale. Objet de fascination universelle, il trouve dans l’ensemble de cent-quatre-vingt œuvres réunies au Louvre-Lens une incarnation vibrante de sa complexité plurielle.










En 1854, Gérard de Nerval dans son poème « El Desdichado » convoque le « le Soleil noir de la Mélancolie ». Une centaine d’années plus tard, la Galerie Maeght présente en 1946 « Le Noir est une couleur », exposition rassemblant vingt-cinq œuvres majeures de Bonnard, Matisse, Braque, Rouault, Van Velde, Atlan. En 2006, Dominique Païssi de la fondation Maeght à Saint Paul de Vence reprend ce titre. La maison d’édition parisienne Le Soleil Noir fondée en 1950 par François Di Dio, marquée par le surréalisme, célèbre déjà ce motif poétique.

Le noir, produit de l'ombre, assume l’ambiguïté de ses nuances infinies et le vague sentiment d’inquiétude qu’il fait planer sur les œuvres. L’exposition du Louvre-Lens s’applique à mettre en lumière la multitude des représentations à travers le temps mais également les continents, de l’Egypte et son panthéon antique jusqu’à l’artiste aborigène Dorothy Napangardi (1956-2013), de l’expressionnisme à l’abstraction pure. Le propos néanmoins se recentre sur l’art occidental. La scénographie bouleverse la chronologie de l’Histoire de l’art pour embrasser des thématiques croisées qui engagent des dialogues entre chefs-d’œuvre d’époques radicalement différentes. 

Peintures, sculptures, installations, vidéos, extrait de films, pièces de mode, les œuvres présentées soulignent le magnétisme des compositions en noir. La poésie et la sensualité du romantisme noir, la sensibilité rigoureuse de Gustave Courbet, « Le ruisseau du puits noir » vers 1865, la lumière sculptée des monochromes de l’Outrenoir signé Pierre Soulages, le déchaînement des éléments dans la vidéo d’Ange Leccia questionnent l’emploi de cette nuance par les artistes. Les symboles, les thématiques distillent leurs motifs à travers les œuvres de Manet, Velasquez, Rodin, Malevitch, Matisse, Botticelli.

Le montage de l’exposition « Soleils Noirs. De l’Egypte à Soulages, l’épopée de la couleur noire » a été perturbé par la crise sanitaire. Les conservateurs chargés d’accompagner les œuvres se trouvant dans l’impossibilité de voyager du fait du confinement, certains prêts consentis par le MoMa de New York et le Prado de Madrid ont été annulés. Malgré les désistements, la richesse de l’ensemble éblouit tant l’évènement rassemble de pièces exceptionnelles.











Dans l’Egypte antique, le noir évoque le limon déposé par les crus du Nil et représente la fertilité. En Occident, dès la Renaissance, le noir est la couleur des Enfers et demeure longtemps celle de la magie, des forces obscures comme dans « Les trois sorcières de Macbeth » de Johan Heinrich Füssli, datant de 1783. La nuit, le fantasme se répand au gré des territoires obscurs, distillant crainte et fascination. Le noir paradoxal, absence et vérité, suscite l’intérêt des artistes. Associé à la mort, aux enfers, à la mélancolie, au deuil, à la misère, à la crasse mais également au romantisme, au luxe, à la mode, au pouvoir, à l’élégance, à la sensualité, à l’espoir, sa signification est assujettie au contexte politique, religieux, sociétal. 

Les paysages nocturnes et les intérieurs éclairés à la bougie, l’inquiétude alors que se déchaînent les éléments, orages, tempêtes, les rendez-vous galants à la faveur de la nuit que seule éclaire la lune, le thème pictural de la nuit, récurrent dès le XVème siècle, donne naissance à des scènes de pénombre intrigante puis au XVIIème siècle aux clairs-obscurs sensibles. Le noir susciter l’émotions car il interroge la psyché humaine révélée par les ombres. « Sonate au clair de lune », de 1889, oeuvre de Benjamin Constant, représente Beethoven en pleine création, presque entièrement plongé dans l’obscurité, conférant un caractère énigmatique au génie en action. 

« La Solitude » (1893) clair-obscur d’Alexander Harrison, laisse voir une silhouette claire, chair nue illuminée par la lune peut-être, navigant sur des eaux d’une obscurité totale. « La grande ombre » de Rodin bronze destiné à la Porte de l’Enfer se tord dans une expressivité toute plastique. Un extrait de "La Nuit du chasseur" film de 1955 de Charles Laughton, adaptation du roman de David Grubb  fait écho la troublante installation de Claude Lévêque qui propose de pénétrer dans une matrice noire aux parois molles, privant le visiteur de la vue, une vieille femme chantant une berceuse d’une voix chevrotante inquiétante.












Le paradoxe du noir, beauté et laideur, plénitude et menace, austérité et volupté semble s’incarner pleinement dans un panneau de Damien Hirst  « Who’s afraid of the dark » à première vue séduisant amalgame luisant qui laisse place à la répulsion en découvrant de près un tapis de mouches mortes figées dans la résine. L’araignée souriante d’Odilon Redon (1881) s’avance à la rencontre des gravures de Gustave Doré parmi lesquelles une illustration de l’Enfer de Dante de 1861.

Luxe austère des puissants, le noir incarne le pouvoir, tel ce portrait de « François de Lorraine, Duc de Guise » par François Clouet vers 1550-1560. Véronèse, en 1548, exécute un Portrait de femme avec un enfant et un chien de Véronèse plein de majesté. La mode du noir s’annonce au tournant du XIXème siècle, la modestie de la mise de son modèle donne à Edouard Manet l’inspiration en 1874 avec le « Portrait de Berthe Morisot à l’éventail ». Carolus Duran saisit en 1869 « La dame au gant », son épouse Pauline Croizette, comédienne réputée. Alfred Agache en 1888 avec « Enigme » laisse planer le doute tandis qu’Emile Friant en 1898 traduit « La Douleur du deuil » tout en noir. Le luxe des vêtements aristocratiques fait place à l’élégance des grands couturiers, Yohji Yamamoto, Jeanne Lanvin et contraste violemment avec celui de la misère noire du « Marchand de violettes » de Fernand Pelez en 1885.












Au XXème siècle le noir devient substance plastique, facteur de l’abstraction. Bernar Venet livre en 1963 « Tas de charbon », la toute première sculpture molle de l'Histoire de l'art, oeuvre conceptuelle, trois tonnes de charbon répandues au sol. Icône de l’art moderne, la « Croix noire » de Kasimir Malevitch (1915) radicalise la démarche. Symbolique plastique, infini ambigu, rituels païens. A travers les épaisseurs du noir, les strates de la matière, Pierre Soulages s'engage sur la voie de l’Outrenoir avec son « Diptyque » de 1979. Absence de couleur et éblouissement, le noir a trouvé son maître.

Soleils Noirs. De l’Egypte à Soulages, l’épopée de la couleur noire
Jusqu’au 25 janvier 2021

Musée du Louvre-Lens
99 rue Paul-Bert - 62300 Lens
Tél : 03 21 18 66 62
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h
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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.