Ailleurs : Villa Demoiselle à Reims, perle architecturale de la Maison Vranken-Pommery-Monopole, incarnation du glissement stylistique entre Art Nouveau et Art Déco



La Villa Demoiselle, perchée sur les hauteurs de la butte niçaise à Reims, incarne dans son architecture élégante le glissement stylistique entre l’Art Nouveau et l’Art Déco au début du XXème siècle. Les lignes épurées volontiers géométriques de l’extérieur soulignent par contraste l’omniprésence des motifs végétaux des intérieurs, pommes de pin, iris, ombelles, feuilles de vigne et symbole iconique du Modern style, des libellules. Résidence des cadres de la maison de Champagne Pommery, édifiée entre 1904 et 1908, la Villa Demoiselle a traversé deux guerres mondiales, résistant aux bombardements et aux réquisitions hostiles. Mais au début des années 1980, laissée à l’abandon, squattée, dévastée par les négligences, elle a bien failli disparaître emportée par l’appétit des promoteurs. Ce chef-d'oeuvre du mouvement « l’Art dans tout » ne doit son sursis qu’à l’intervention de Michel André, architecte des bâtiments de France. Néanmoins, malgré son caractère historique et son intérêt patrimonial, la Villa Demoiselle ne sera placée sous la protection de la ville de Reims qu’en 1999. Le monument est sauvé de la ruine par un couple de passionnés, Paul-François et Nathalie Vranken, à la tête du groupe Vranken-Pommery-Monopole. En 2004, ils acquièrent l’hôtel particulier qui appartenait historiquement au patrimoine de la maison Pommery. Leur obstination, leur ferveur permettent de relever la belle endormie. Ils font appel à des artisans de renommée internationale, le plus souvent de la région Champagne. Architectes, ébénistes, décorateurs, couvreurs, peintres collaborent étroitement. Près de cinq années sont nécessaires pour recomposer la splendeur disparue, réinventer les fastes d’antan grâce notamment à un minutieux travail de recherche et documentation. A nouveau inaugurée en juillet 2008, la Villa Demoiselle renaît de ses cendres, désormais l’un des temps forts de la visite des crayères de la maison Pommery.













Henry Vasnier (1832-1907) associé et négociant en vin de la Maison Veuve Pommery fils et Cie, légataire universel au décès de Louise Pommery en 1890, est également l’un plus grands mécènes et collectionneurs d’art de son temps. Il inspire à Louise Pommery l’acquisition du tableau « Les glaneuses » de Jean-François Millet. Dès 1890, Henry Vasnier envisage de faire édifier un hôtel particulier susceptible de recevoir l’ensemble de ses collections. La vue sur la cathédrale depuis La parcelle idéalement située en face du domaine d’exploitation Pommery, le séduit. Il envisage cette bâtisse comme un lieu de prestige, de représentation, susceptible par son accomplissement esthétique de faire rayonner la maison Pommery. Le chantier est confié à l’architecte parisien Louis Sorel (1867-1933). Les travaux débutent en 1904 et s’achèvent en 1908. Henry Vasnier ne verra jamais la villa achevée.

Louis Sorel appartient au cercle de « l’Art dans tout » qui rassemble entre 1896 et 1901, architectes et décorateurs désireux de développer le concept d’oeuvre totale. Chaque élément de l’architecture et du décor intérieur, aussi minime soit-il, est pensé comme une création artistique incluse dans un ensemble oeuvre.  Louis Sorrel, s’inspirant de ses confrères les plus pointus, endosse le rôle de précurseur. A la Villa Demoiselle, l’agencement des volumes de la façade traduisent les préoccupations modernes de l’architecte. Il cherche à libérer les ouvertures, baies vitrées et bow window, ponctue l’ensemble d’une marquise monumentale et d’une loggia à arcature esthétiquement osée. Le programme décoratif, touches de couleurs, grès flammés d’Alexandre Bigot, détail des ferronneries, portes ciselées, gouttières historiées, renvoie à la notion de « l’Art dans tout ». L’idée d’un style néo-Tudor, entre Art Nouveau et prémisses de l’Art Déco, qui pourrait séduire la clientèle britannique, s’exprime dans la fantaisie des toitures. Louis Sorrel s’intéresse à l’innovation technique. La charpente en métal et la structure de béton de la Villa Demoiselle lui confère à la fois une élégance élancée et une grande résistance qui lui permettra de traverser deux guerres.











De prestigieux artisans d’art interviennent. Les vitraux sont signés du maître verrier Auguste Labouret. Les sculptures des cheminées et boiseries sont confiées à Camille Lefèvre. Les peintures de Georges Picard et décorations murales de Félix Aubert mettent les volumes en valeur. Un lustre monumental des ateliers Barguès est suspendu dans le spectaculaire escalier. Ensemblier de la villa, Tony Selmersheim (1871-1971) maîtrise les arts du métal, du feu, du bois, de la reliure et autant de techniques modernes qui en font l’un des créateurs les plus recherchés de son temps. Villa Demoiselle, il imagine les boiseries de l’entrée. Au XXIème siècle, Paul-François et Nathalie Vranken vont ajouter plusieurs de ses meubles ajoutés à la collection. Gustave Serrurier-Bovy, pionnier de l’Art Nouveau en Belgique est à l’origine des métamophoses du décor intérieur. A partir de 1905, son style se dépouille et tend vers l’épure. Il s’inspire dans la géométrie du mouvement Art and crafts britannique. Il créée un ensemble de meubles pour la Villa Demoiselle.

A son décès en 1907, Henry Vasnier lègue sa collection d'œuvres et d'objets d'art, parmi lesquels de nombreux tableaux de Camille Corot et quelques Millet prestigieux, au musée des Beaux-arts de Reims. A la suite d’une interprétation testamentaire, la famille revendique certaines pièces qu’elle considère comme du mobilier. Elle conserve en sa possession la "salle à manger" créée par le maître verrier nancéien Emile Gallé (1846-1904) entre 1891 et 1894, composée d’un dressoir dit Chemins d’Automne ou Saveurs d’Automne, d’une console Soir d’avril au vignoble, d’une table aux Herbes Potagères et de quatorze chaises. En 1911 la ville de Reims intente un procès à la famille et perd.

L’ensemble est vendu aux enchères en 1974 par maître Maurice Rheims - le père de Nathalie et Bettina - à l'hôtel Drouot à Paris et intègre des collections privées. La salle à manger de Gallé est, un temps, exposée à Fukushima au Japon au musée de l’Art Nouveau puis rachetée par un collectionneur américain. En 2013, elle est annoncée au programme d’une nouvelle vente chez Sotheby’s en France. Grâce à une souscription exceptionnelle lancée par Nathalie Vranken, réunissant mécénat public et privé, le musée des Beaux-Arts de Reims se porte acquéreur de ces pièces uniques, éléments du patrimoine artistique rémois. 












Devenu directeur de la Maison Pommery, Louis Cochet premier résident de la Villa Demoiselle s’y installe en 1909 et lui transmet son nom. Il demeure Villa Cochet jusqu’en 1931. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’hôtel particulier est réquisitionné par les Allemands. Puis devient une base américaine. Au lendemain du conflit, la maison Pommery reprend possession de la villa qui accueille la direction jusqu’en 1970. Lorsque les cadres de la maison Pommery désertent la villa à partir de 1970, elle sombre peu à peu dans l’abandon. Squattée durant dix années, les dégradations sont désastreuses. Les décors disparaissent, sont perdus ou détruits. Les boiseries et les vitraux sont irrémédiablement endommagés. Murée, démantelée, en perdition, l’avenir de la bâtisse s’annonce sous de tristes auspices. Dans les années 1980, les promoteurs alléchés par la situation exceptionnelle du terrain et la vue imprenable sur la cathédrale tentent d’obtenir des permis de démolition. Michel André architecte des Bâtiments de France mène campagne pour sauver l’édifice. Son intervention permet d’éviter que la villa soit rasée. Cependant elle n’est placée sous la protection de la ville de Reims qu’en 1999.

Paul-François Vranken, PDG de la maison Vranken-Pommery-Monopole, acquiert la villa en avril 2004. Avec son épouse Nathalie Vranken, ils ont de beaux projets. Ils ambitionnent de transformer la villa en un lieu d’accueil et de découverte ouvert au public, un écrin dédié à la cuvée Demoiselle, créée en 1985, et d’y installer le siège des Champagnes Vranken. Le couple mène un grand projet de restauration dans le respect de l’édifice originel afin de lui redonner sa pleine dimension patrimoniale et replonger les lieux dans la période esthétique qui les a engendrés, un subtil équilibre entre l’Art Nouveau et l’Art Déco. Les intérieurs sont entièrement refaits, reconstitués. Il s‘agit pour toucher à nouveau au faste d’antan, de réinventer le décorum et la splendeur souhaités par Henry Vasnier. Afin de redonner vie à la Villa, les ventes aux enchères et les antiquaires vont permettre d’obtenir des pièces remarquables correspondant à l’époque et au style. 

Paul-François et Nathalie Vranken font appel à l’excellence des artisans de la région comme les Métalliers Champenois, le maître-verrier Simon, le couvreur Gourdon, l’ébéniste Hérault. Après quelques imprévus et des délais rallongés, la villa rouvre ses portes en juillet 2008. Le site devient Villa Demoiselle en hommage à la cuvée de la maison Vranken. Documents d’archives, traces matérielles sur les lieux mêmes tels les reliquats de teintures dissimulés sous les couches accumulées de peinture et de papier, ont permis une reconstitution minutieuse. Véritable travail d’orfèvre, les artisans ont suivi à la lettre les dessins originaux de Louis Sorel. Deux ans de travail et de patience ont été nécessaire pour exécuter les peintures au pochoir enrichies de 22 000 feuilles d’or. 










Afin de redonner vie à la Villa Demoiselle, le musée des Beaux-Arts de Reims a laissé en dépôt un certain nombre de pièces du legs Vasnier. Au rez-de-chaussée, le vestibule a retrouvé son sol de mosaïque. L’un des quatre espaces de réception s’est paré d’une exceptionnelle cheminée exceptionnelle en acajou sculpté de motifs ombellifères, acquise lors d’une vente chez Christie’s par Paul-François et Nathalie Vranken. Cette oeuvre de Paul-Alexandre Dumas, élève de Louis Majorelle a été présentée lors de l’Exposition Universelle de 1900. Dans le Grand Salon, le lustre en cristal noir « Zénith » de Philippe Starck affirme l’attachement de la maison Vranken-Pommery-Monopole à la création contemporaine. La salle à manger Emile Gallé a retrouvé sa place initiale. La caisse Majorelle sculptée d’iris, marqueterie japonisante à décor lacustre représentant un coucher de soleil, qui n’était pas visible lors de mon passage, provient du restaurant parisien Lucas Carton, désormais propriété du groupe Vranken. Louis Majorelle a réalisé l’ensemble des boiseries du prestigieux établissement - quatre années de travail - en érable, sycomore et citronnier de Ceylan.

A la Villa Demoiselle, l’escalier monumental remarquable s’inscrit dans le programme des prouesses techniques imaginées par Louis Sorel. Le lustre qui désormais l’orne, haut de 10 mètres, lourd de près de 300kg, a été reproduit d’après une photographie en noir et blanc du modèle original. Cette réplique fastueuse est le fruit d’une collaboration entre les compagnons des Métalliers champenois pour la monture et la verrerie Cristallerie Saint Louis pour les globes et gouttes. Le premier étage de la villa abrite un salon tendu de cuir de Cordoue et un délicieux cabinet de curiosités où sont rassemblés bronze et bibelots précieux de la collection Vasnier.  

Deux ans de travaux ont été nécessaire pour restaurer le cellier de la Villa Demoiselle, à nouveau inauguré en 2009. Désormais vinothèque de prestige, il abrite une collection de millésimes rares du XXème siècle dont le plus ancien date de 1907. A l’avant de la propriété, le kiosque réhabilité est devenu boutique. Le jardin a été redessiné selon les plans établis en 1909 par Edouard Redont, paysagiste notamment du Parc Pommery aujourd’hui Parc de Champagne et auteur des aménagements du jardin du Château des Castaignes.

Entre conservation du patrimoine et vocation d’ouverture, la Villa Demoiselle est devenue l’une des étapes de charme de la découverture des crayères. La beauté des lieux se prête également volontiers à des événements privés d’envergure. 

Villa Demoiselle
5 place du Général Gouraud / 56 boulevard Henry-Vasnier - 51100 Reims
Tel : 03 26 61 62 56
Fermé le 25 décembre et du 1er au 3 janvier
Visites guidées le vendredi à 10h et 16h15 - le samedi à 14h et 16h15 - le dimanche : à 10h, 14h et 16h15
Adulte 25 euros / Enfant (de 10 à 18 ans) 13 euros / Gratuit pour les - de 10 ans. 
Visite guidée d'1h30 caves + Villa Demoiselle « Le rêve d'Henry Vasnier » avec dégustation de deux cuvées : 39 euros



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.