Lundi Librairie : Requiem pour une apache - Gilles Marchand



Au fil du temps, l’hôtel que tient Jésus s’est transformé en une sorte de pension de famille, véritable asile pour tous les cabossés de la vie. Une ancienne gloire de la variété française tombé en disgrâce et désormais summum du ringard, y a trouvé refuge en quête d’anonymat. Il se souvient des prémisses de leur combat, de leur petit groupe réuni par le hasard et de Jolene propulsée sans crier gare meneuse des insurgés. Dans cette famille recomposée, il y a Marcel ancien boxeur, ancien catcheur, montagne au physique impressionnant, visage en morceaux, plus toute sa tête à force d’avoir pris des coups sur la caboche. Antonin, grand enfant dans l’âme qui inspecte le monde au bizarrotron. Marie-Pierre représentante en encyclopédies, et sa vocation de pédagogue qui essaie en vain de lui donner un peu de culture. Bonnie and Clyde, un couple d’anciens monte-en-l’air. Ils ont passé plus de la moitié de leur vie en prison séparés, et depuis leur sortie ne se lâchent plus. Annie, ex-cadre dynamique rendue muette par un burn out, ne s’exprime plus que par bribes de poèmes. Paul, a eu son heure de gloire lui aussi. Héritier d’une grosse fortune, il a tout investi dans un projet immobilier fou, emmener la mer à Paris et créer une station balnéaire en banlieue. Entrepreneur célébré pour ses audaces, il a fini honni, désigné comme l’escroc du siècle quand ses rêves se sont effondrés. Et puis il y a aussi, Mario le chef cuisinier italien, Vieux John, amateur de westerns un poil réac et Suzanne, l’odeur des lieux. Jolene, la dernière arrivée doit son surnom à la chanson de Dolly Parton qu’elle écoute en boucle sur l’antique juke-box. Caissière de supermarché, elle a été renvoyée pour une histoire de badge. Ils vivent tous dans une résignation douloureuse, trouvant du réconfort dans leur communauté de malheurs. Jusqu’au jour où l’arrogance et le manque de considération d’un préposé au gaz venu relever les compteurs va faire déborder le vase des humiliations. Désormais, ils refusent de continuer de servir de souffre-douleur à tous les enragés du système.

Troisième roman en solo de Gilles Marchand, « Requiem pour une apache » évoque la révolte aussi singulière que spontanée de ceux que la société a privés de parole. Avec un talent de conteur rare, l’auteur convoque des réminiscences militantes vivaces. La réflexion politique menée tout au long du récit entre en résonance avec l’actualité, les grandes manifestations populaires, le soulèvement des humiliés. Roman humaniste et sensible, ce livre explore des thèmes récurrents dans l’oeuvre de Gilles Marchand, la mémoire, les blessures à surmonter pour se réaliser, pour trouver sa voie. 

L’auteur célèbre la poésie du quotidien distillant la fantaisie dans des univers un peu ternes, subtil décalage qui prendrait prend la forme d’une sorte de réalisme magique. Plume élégante, variations sensibles, il réenchante le monde par petites touches vibrantes. Sa galerie de portraits touchants, personnages singuliers abîmés par la vie donne chair à une analyse sociétale profonde. Les habitants de cet hôtel sont les invisibles, les petits, les humbles. Ils ont choisi de se replier sur eux-mêmes pour ne plus avoir à supporter les constantes brimades qu’exercent sur eux la société. La pension de Jésus incarne l’idée du refuge protecteur, l’asile où ils s’enferment pour se libérer. Radicalement différents, ces êtres portent pourtant en eux la même humiliation. Individuellement, ils ne s’engagent pas politiquement, préfèrent se retirer que d’entrer en lutte, vaincus par la domination de classe. Ensemble, ils construisent une communauté, soudés par une fraternité des inadaptés, ceux maltraités par l’existence.

Grâce à cette harmonie inattendue, cette soudaine acception, ils retrouvent leurs rêves, la reconnaissance, le respect et leur dignité. Ils puisent une force nouvelle dans le groupe. Utopie du collectif, ode aux idéaux du vivre ensemble, dans cette assemblée d’amis, remède à l’isolement et au rejet, germe l’idée de la résistance, source du militantisme. Réunis, ils découvrent le pouvoir émancipateur de la musique et de la poésie. Leur insurrection s’avérera aussi magnifique et lyrique que dérisoire et tragique.

Humour, mélancolie, sincérité, « Requiem pour une apache » se lit comme un manifeste solidaire, une fable morale pertinente et terriblement actuelle. 

Requiem pour une apache - Gilles Marchand - Editions Aux Forges de Vulcain



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.