Lundi Librairie : L'Homme-dé - Luke Rhinehart




Le docteur Luke Rhinehart, éminent psychiatre new-yorkais, a tout pour être heureux. Une femme aimante, Lilian, deux enfants charmants, une carrière florissante, une réputation grandissante, rien ne manque au tableau. Idyllique ? Pas si sûr. Luke Rhinehart se sent engoncé dans un quotidien sans relief, frustré par le conformisme de son existence. Pour vaincre l’ennui, il décide alors de mener une expérience jusqu’au-boutiste et de littéralement confier sa vie au hasard. Désormais chaque décision, aussi importante soit-elle, sera prise en faisant rouler un dé, les six faces représentant des alternatives préalablement établies, des plus raisonnables aux plus inavouables. Education des enfants, traitement de ses patients, relations avec les femmes de son entourage, tout y passe. Rhinehart établit des options de plus en plus extrêmes et n’hésite plus à basculer vers la criminalité. Seule contrainte s’adonner entièrement aux injonctions du dé, ne jamais y désobéir. Prosélyte, il fait de plus en plus d’adeptes. 

Fausse biographie, d’un psy qui envoie valser toute son existence pour embrasser la loi du dé et du hasard, « L’Homme-dé » interroger la notion de liberté individuelle et la morale. Ce premier roman grinçant, d’un professeur de littérature, George Powers Cockcroft, publié en 1971 sous pseudonyme, est rapidement devenu culte. Le livre a tout d’abord circulé sur les campus américains rencontrant le succès grâce au bouche-à-oreille. Désormais traduit dans plus de dix-neuf langues, il est régulièrement réédité dans le monde entier.

L’intrigue s’ancre dans l’idée romanesque éminemment subversive d’affranchir les êtres du libre-arbitre. Le pouvoir du hasard seul maître du jeu remet en cause les fondements de notre société, annonce la fin de la civilisation. Luke Rhinehart se soustrait à l’ordre social préétabli et choisit d’embrasser les conséquences des actions déterminées par le dé mais également toutes les facettes de la personnalité. Afin de dépasser les angoisses et les frustrations d’une routine devenue intolérable, il accepte d’endosser les rôles différents dictés par le lancer de dé mais surtout pas lui-même puisqu’il est le seul à établir les options initiales. Abandonnant les mécanismes de défense élémentaires, il se soumet au verdict.

Lasser de réfréner ses pulsions, il laisse la possibilité à ses désirs refoulés de s’exprimer. Ce personnage anarchiste qui choisit d’explorer la schizophrénie profonde de l’être humain incarne le désir de chacun d’être multiple. Au fil d’une déconcertante succession d’expériences, il se soumet aux extravagances de sa propre imagination. L’envahissement du hasard, les décisions qui lui subordonnées remettent en cause sa place dans la société des hommes. Il se désengager du contrat social, s’affranchit du déterminisme pour concrétiser ses propres fantasmes, repousser les limites sans pour autant décaler la perception du réel.   Addiction à l’adrénaline, au frisson de la transgression, cette philosophie du dé prend la forme d’une nouvelle religion qui renverser les règles et remet en cause l’ordre social.

Dérangeant, imprévisible, ludique, ce roman porté par l’humour très noir de son auteur se révèle ode puissante à la provocation, célébration des désirs enfouis.  

L’Homme-dé - Luke Rhinehart - Traduction James du Mourier - Editions de l’Olivier Collection Petite Bibliothèque Américaine 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.