Lundi Librairie : La chamade - Françoise Sagan



La chamade - Françoise SaganLucile, trentenaire désinvolte, vit avec Charles de vingt ans son aîné, pour lequel elle éprouve une sincère affection, un véritable respect sans pour autant l’aimer. Charles, grand bourgeois, d’un raffinement un peu ennuyeux est la courtoisie incarnée. Très épris de Lucile, qui assume son statut de femme entretenue et apprécie l’aisance matériel que lui procure son amant, il paraît également très lucide quant à leur situation. Il aime jusqu’à ses défauts. Lors d’un dîner mondain, Lucile fait la connaissance d’Antoine, mélancolique jeune éditeur, qui accompagne Diane, une riche héritière entre deux-âges, ancienne grande beauté sur le déclin. L’attirance est immédiate. Antoine et Lucile vivent une grande passion et lorsqu’il exige qu’elle fasse un choix, elle quitte son généreux protecteur. Le rire et l’insouciance ressemblent quelques mois au bonheur. Mais l’amour sans argent conduit à de cruelles désillusions.

Portrait caustique d’une certaine classe sociale, tableau de mœurs, « La chamade » se déploie en une satire acérée de la bourgeoisie parisienne. Françoise Sagan s’attache à décrire les milieux mondains qu’elle prise et fréquente posant un regard lucide sur ce microcosme hédoniste, où l’aisance financière rime souvent avec frivolité et futilité. Les personnages pétris de contradictions, êtres désabusés des beaux quartiers, errent dans des lieux élégants menant une plaisante vie d’apparences.

Les motifs récurrents saganesques, les belles voitures, les sportives et les Rolls opulentes, les visons gris et les whiskies dans les clubs de Saint-Germain-des-Prés, les nuits sans sommeil, encadrent un récit porté par la fluidité du style. D’une phrase la romancière retranscrit une ambiance, saisit les atmosphères singulières traduisant la profondeur sous une apparente légèreté. Avec un sens du dialogue délicieux, elle décrypte derrière les façades impeccables de la bonne éducation l’humanité en souffrance et les mouvements du cœur.   

La subtilité psychologique des personnages, leur ambivalence, s’épanouit sur le fil conducteur de l’écart de génération, les quinquagénaires représentant les adultes ennuyeux et les trentenaires, les enfants turbulents. Les individualités se nuancent au gré des paradoxes et des dilemmes. Les bienfaiteurs autant que les jeunes gens s’incarnent dans toutes leurs ambiguïté.  Françoise Sagan livre notamment un terrible portrait de femme vieillissante, constat sociétal radical. Le personnage de Charles très compréhensif, raffiné, pondéré qui représente la sagesse et le confort s’oppose à celui d’Antoine, rêve de simplicité, la fougue et la passion, la vitalité et le charme. Mais tandis qu’Antoine tente de changer Lucile, n’accepte pas ses faiblesses, Charles sait flatter ses défauts de caractère qu’il trouve séduisants tel que son goût pour l’oisiveté, la légèreté, la facilité. Lucile, personnage très gai, n’a aucun talent pour le travail ou les soucis de comptabilité. Femme trophée, elle embrasse l'idée même de sa cage dorée. La sécurité lui est plus chère que la liberté. L’idéal romantique s'efface confronté aux conditions d'existence modeste. Elle préfère les petits arrangements avec soi-même. L’insouciance est à ce prix.

Sous la plume de Françoise Sagan, l’utopie de l’amour se révèle éphémère illusion rattrapée par les réalités matérielles. La fantaisie et la poésie de la passion, les fulgurances amoureuses et la jouissance des corps, ne sont qu’une forme d’aveuglement passager déraisonnable. La vérité des sentiments s’illustre dans les compromissions et les renoncements. La grande romancière transcende par son art délicieux une histoire triste, infiniment romanesque et terriblement banale.

La chamade - Françoise Sagan - Editions Julliard - Edition de poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.