Le Monument aux victimes d’Afrique du Nord, du sculpteur Eugène Dodeigne (1923-2015) a été inauguré en 1996 au cœur du parc de la Butte du Chapeau Rouge. Contribution de la ville, cette statue monumentale est devenue lieu symbolique de mémoire. Deux silhouettes d’une blancheur éclatante se dressent striées de profondes entailles, alternance de pans lisses et rugueux. La puissance des formes allusives entre figuration et abstraction ne renie pas une certaine parenté avec les groupes d’Auguste Rodin. A leurs pieds, trois stèles précisent leur vocation commémorative. Sur la première se lit : « en hommage à tous ceux qui ont servi la France jusqu’en 1962 en Tunisie, au Maroc et en Algérie. Sur la deuxième « en mémoire des harkis morts pour la France, Guerre d’Algérie 1954-1962 ». Enfin sur la troisième est inscrit « en mémoire des victimes civiles, Maroc, Tunisie, Algérie, 1954-1962 ».
Adepte de la taille directe, Eugène Dodeigne s’attache à révéler la forme induite dans la pierre, dans le bois. "La sculpture est un combat, une lutte contre la matière. Il faut jouer des poings." affirme-t-il en 1988. Il embrasse les aspérités et célèbre la trace de l’outil. Les différentes techniques expérimentées prolongent une quête plastique d’expressivité, d’émotion. Les larges pans articulant des facettes éclatées confèrent à l’ensemble une force qui emprunte à l’abstraction pure tout en conservant l’idée du corps humain.
Eugène Dodeigne est un artiste précoce. Son père tailleur de pierre lui enseigne les rudiments de son art dès 1936. Le jeune Eugène a treize ans et suit des cours de modelage, de dessin à Tourcoing. Ses aptitudes lui ouvrent les portes de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1943. Dans l’atelier de Marcel Gimond, Eugène Dodeigne se révèle par le travail du bois. Il est fasciné par les accidents de la matière, les nœuds, les fibres qu’il tend à souligner. Sa première exposition personnelle se déroule en 1953 à la galerie Marcel Evrard de Lille.
Dans la production de cette période, se lit clairement l’influence de Constantin Brancusi avec un intérêt particulier d’Eugène Dodeigne pour les volumes lisses et denses, ses expérimentations sur les rapports de la surface et du volume. Pourtant, il ne se départit jamais de l’idée d’une puissante figuration qu’il traduit abrupte, expressive. Fasciné par les formes organiques de Jean Arp, le jeune artiste y puise un certain goût de l’informel et du biomorphisme. Eugène Dodeigne travaille inlassablement la figure humaine. Ses fusains sont d’une grande sensualité.
Il installe son atelier à Bondue en 1950. Cinq ans plus tard, il adopte la pierre comme matériau de prédilection. Il explore la matière en taille directe, le granit bleu-gris de Soignies, la pierre ocre de Massangis, le marbre de Carrare et même la lave dont il achète quelques blocs à Volvic dans les années 1960. Avec la technique de la pierre éclatée, il met en valeur l’expressivité des irrégularités, les lignes du débitage, la trace de l’outil dans une figuration rugueuse qui tend vers l’épure. Son dépouillement prend exemple sur les œuvres d’Alberto Giacometti ou de Germaine Richier.
Au début des années 1960, Eugène Dodeigne accède à la reconnaissance internationale à la suite de nombreuses expositions à la Galerie Claude Bernard, à la Galerie Pierre, à la Galerie Jeanne Bucher, puis à Berlin, Hanovre, Rotterdam, Bruxelles et Pittsburgh.
Dans les années 1970, avec le groupe des Dix de la Fondation Prouvost à Marq-en-Baroul, il évolue vers la monumentalité. Une série de commandes publiques le pousse à la réflexion au sujet de l’oeuvre exposée en plein air. Dès les années 1980, préoccupé par la dynamique des formes, il s’inspire de la pratique de la danse contemporaine pour retranscrire l’idée du mouvement. Les modelés s’imprègnent de la vigueur des corps. Les marques des burins dans la matière déplacent la lumière révélant l’énergie et les tensions du matériau.
A partir de cette période, les créations d’Eugène Dodeigne sont présentées dans de nombreuses villes aussi bien dans l’espace public que dans les collections des grands musées, à Lille, Dunkerque, Villeneuve-d'Ascq, Anvers, Liège, Hanovre, Utrecht, puis Bobigny, Argentan et Paris, jusqu'à Grenoble en 1998, Angers, Utrecht, Bâle, Duisburg, Bruxelles, Washington, Otterlo au Kröller-Müller museum, à Paris au musée national d’Art Moderne.
En 1985, Eugène Dodeigne prend part à la Biennale de Paris. Une exposition lui est consacrée au musée Rodin en 1988. Il rejoint la sélection des Champs de la Sculpture en 1995 et de l’évènement Made in France au Musée National d'Art Moderne en 1996. A l’occasion du renouveau du Jardin des Tuileries en 1999, le travail Eugène Dodeigne accède aux collections d’œuvres contemporaines de ce musée à ciel ouvert. En 2002, la fondation Coubertin lui consacre une grande rétrospective. Ses œuvres rejoignent de nombreuses collections publiques notamment en Europe du Nord, Allemagne, Autriche, Belgique, Norvège, Pays-Bas, en France et en Argentine, aux Etats-Unis et en Suisse. Eugène Dodeigne confirme son statut d’artiste majeur de la fin du XXème siècle.
Monument aux victimes d’Afrique du Nord, d’Eugène Dodeigne
Parc de la Butte du Chapeau Rouge - Paris 19
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Sites référents
Enregistrer un commentaire