Expo : Kiki Smith - Monnaie de Paris - Jusqu'au 9 février 2020



Artiste majeure à la renommée internationale, Kiki Smith est relativement méconnue en France. La Monnaie de Paris lui consacre une exposition monographique, exploration inédite dans une grande institution hexagonale de l’oeuvre féministe, engagée, militante de cette plasticienne américaine à l’univers singulier. Une centaine d’œuvres, des années 1980 à nos jours, sont déployées dans les cours et les salons de la vénérable maison, illustrant une créativité fertile. Si la sculpture y tient une place centrale, l’évènement met en lumière la diversité d’une pratique artistique puissante avec de nombreux dessins, des tapisseries, des installations, des photographies, des gravures. Kiki Smith, elle-même collectionneuse de monnaies anciennes et de médailles, trouve à la Monnaie de Paris une place de choix dans un parcours non-chronologique. Les commissaires de l’exposition Camille Morineau, directrice des expositions et des collections de la Monnaie de Paris (qui vient de quitter son poste) et Lucia Pesapane, responsable de la programmation artistique du lieu, ont imaginé une mise en dialogue d’œuvres de périodes très différentes afin d’aborder les thématiques majeures du travail de Kiki Smith. Jetant des ponts entre les époques et les tropismes, cette scénographie particulière permet de suivre le fil rouge des obsessions de l’artiste et d’aborder de façon très lisible sa cosmogonie intime. 











La première rétrospective de Kiki Smith en France s’attache à saisir la pluralité d’une pratique, à la fois dans la forme et dans la matière même des œuvres. Les différentes formes d’expression procèdent d’une hybridation progressive. Les matériaux mêmes sont très variés, la cire, le bronze, le verre, le papier, la porcelaine, la tapisserie, le plâtre. L’oeuvre protéiforme de Kiki Smith convoque les intériorités tourmentées, met à jour ses grands interrogations existentielles. L’artiste considère que la vie et l’art forment un tout, que son travail est une manifestation plastique du monde spirituel. 

Le corps particulièrement celui de la femme est célébré autant que tourmenté. Ce dernier objet politique et social, soulève la question de l’identité, du contrôle, de la domination. Sous les autours de la fée, de la sorcière,  de la Madone, tour à tour puissante, vulnérable, victime au bûcher, crucifiée dans un rapport d’inversion au Christ, la figure féminine traverse son oeuvre avec force. 











Chiara dite Kiki Smith nait en 1954 à Nuremberg de parents américains. Son père Tony Smith, architecte et sculpteur minimaliste, et sa mère Jane Lawrence Smith, chanteuse lyrique et comédienne, ont pour amis proches Barnett Newman, Jackson Pollock, Tennessee Williams. A South Orange, où elle grandit en compagnie de ses deux sœurs, Kiki Smith est incitée à exprimer sa créativité. En 1976, la jeune femme s’installe à New York. Elle suit des cours de gravure et réalise ses premiers monotypes. Découvrant le milieu underground, elle rejoint le collectif alternatif CoLab. 

Fascinée par les illustrations du traité d’anatomie, Henry Gray Anatomy of the Human Body (1858), elle aborde pour la première fois en 1979 dans ses dessins le thème du corps humain, les écorchés, les viscères. Elle s’intéresse à l’idée de la matérialité brute et sans fard du corps. Sans concession, elle ouvre, dissèque, morcelle les organes, décrit avec soin les fluides, les sécrétions, les flux. A cette même époque, Kiki Smith réalise ses premières sculptures, de petits objets en plâtre. Lorsqu’elle découvre l’épopée fantastique d’Henry Darger (1892-1973) The Story of the Vivian Girls, l’imaginaire de ce récit épique se mêle aux images des contes de fée de son enfance qui hantent déjà son oeuvre. 











Dans les années 1980, le décès de son père, la maladie de sa sœur qui est séropositive inspirent des séries au sujet de la vulnérabilité de la chair, la douleur, l’abnégation. La mort et le corps en souffrance, maltraité par les soins comme par la maladie se placent au cœur d’une oeuvre cathartique, langage plastique qui exprime l’angoisse, le mal-être, le chagrin. En 1983, Kiki Smith conçoit sa première exposition personnelle Life wants to live. 

Son oeuvre acquiert une nouvelle dimension au tournant des années 1990. Dans une grande réinterprétation personnelle, Kiki Smith s’empare des mythes et légendes de la culture populaire qu’elle croise avec l’iconographie religieuse. Les madones médiévales, la Vierge, Sainte-Geneviève, Marie-Madeleine rencontrent Le Petit Chaperon rouge, Alice au pays des Merveilles. Et les héroïnes des contes n’échappent pas à la cruauté originelle des récits. Le sang et la mort rôdent.











Kiki Smith explore les liens entre les Hommes et la nature, lieu d’harmonie. Elle s’attache à la représentation d’un abondant bestiaire, oiseaux, loups, biches, brebis. Lorsqu’elle suggère l’osmose de l’être humain avec le monde naturel, Mère-nature se teinte de magie. Les corps se couvrent de pelage, de plumes. Les femmes jaillissent du ventre du loup, ambiguïté animale. Les décors fantastiques de l’état sauvage offrent la liberté d’un retour aux origines, aux instincts. Le charnel et le spirituel, l’ange et la bête se retrouvent incarnés en une seule créature. Dans sa recherche formelle de retour aux sources, elle se penche sur les techniques et les savoir-faire ancestraux. Elle aborde le travail du bronze.

En 1996 quitte son loft de Ludlow Street pour l’East Village. La découverte du Planétarium d’Hambourg, lui inspire une nouvelle représentation du cosmos, paysage sidéral, cieux étoilés. En 2012, admirative de la célèbre Tapisserie de l’Apocalypse (1375-1382) qui se trouve à Angers, elle décide d’employer cette technique pour réaliser tapisseries monumentales inspirées de textes bibliques et d’un chant des Géorgiques de Virgile.

L’oeuvre de Kiki Smith nous rappelle notre appartenance à un grand tout par le biais d’une puissante expressivité paradoxale organique et symbolique, profane et religieuse, politique et intime.

Kiki Smith
Jusqu’au 9 février 2020

11 quai de Conti - Paris 6
Tél : 01 40 46 56 66
Horaires : du mardi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.