Expo : Collection Emil Bührle - Musée Maillol - Jusqu'au 21 juillet 2019



Exceptionnelle anthologie, trésor artistique rassemblé entre 1937 et 1956 par le marchand d’armes Emil Bührle, la collection Bührle est l’une des plus prestigieuses collections privées mais aussi l’une des plus controversées. Parmi les 630 pièces qui composent ce magnifique ensemble, 57 sont présentées au musée Maillol, la plupart pour la toute première fois en France. Cette composition de morceaux choisis réunit les plus grands noms de l’impressionnisme, Manet, Monet, Pissarro, Degas, Renoir, Sisley et du postimpressionnisme Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec mais aussi un vaste panorama des débuts du XXe siècle avec les Nabis, Bonnard, Vuillard, les Fauves et les Cubistes, Braque, Derain, Vlaminck, l’École de Paris représentée notamment par Modigliani, pour finir avec Picasso. Ce florilège établit visuellement les liens de filiation entre les différents courants artistiques de la modernité tout en soulignant l’apport personnel de chaque artiste à l’Histoire de l’art. La collection Emil Bührle jusqu’ici itinérante - elle s’est établie en 2017 à la Fondation de l'Hermitage à Lausanne puis en 2018 au Japon dans trois musées majeurs - rejoindra définitivement une extension du Kunsthaus de Zurich, conçue par l’architecte David Chipperfield en 2021.









Témoignage majeur à la fois de l’Histoire de la spoliation des biens juifs durant la Second Guerre Mondiale et de l’évolution de l’art entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, le destin de ce grandiose ensemble est intimement lié à la personnalité de celui qui a su rassembler de façon extrêmement douteuse autant de pièces majeures. Allemand naturalisé suisse en 1937, Emil Bührle a fait fortune en vendant des armes à la France, à l’Angleterre et aux Etats-Unis mais aussi, dès 1933, à l’Allemagne, devenant ainsi acteur essentiel d’un réarmement interdit par le Traité de Versailles. Client de la sulfureuse galerie Fischer, le collectionneur marchand de mort, n’a pas hésité pas entre 1937 et 1944 à faire l’acquisition d’œuvres à la provenance douteuse, souvent spoliées aux familles juives par les Nazis. 

L’exposition présentée au musée Maillol entraîne le visiteur à travers l’histoire de l’art, opulence inouïe d'oeuvres, foisonnement d'artistes incontournables. "La petite danseuse de quatorze ans" de Degas (1880) côtoient "Les coquelicots près de Vétheuil" de Monet (1879). "Le garçon au gilet rouge" de Cézanne (1888-90) ou encore "Le semeur au soleil couchant" de Van Gogh (1888) déploient des charmes lumineux. "Le Suicidé de Manet" (1877-81) ou le "Portrait de mademoiselle Irène" de Renoir (1880), "L’Offrande" de Gauguin (1902) ou "La Liseuse" de Corot (1845-50) assument avec panache leur statut de chefs-d’œuvre. La Messaline de Toulouse-Lautrec (1901) chatoie dans ses soies chamarrées, héroïne d’une nuit montmartroise. "Les Tournesols sur un fauteuil" de Gauguin (1901) et "Le Jardinier Vallier" de Cézanne (1906) fascinent tout autant que "Le Déjeuner" de Bonnard (1932). Mais si la splendeur de la collection emporte et chavire, il est difficile d’oublier son origine.










Né en 1880, à Pforzheim dans le Grand-duché de Bade, Empire allemand, Emile Bührle développe très tôt une passion pour l’art qu’il étudie ainsi que la littérature à l’Université de Munich. C’est là qu’il découvre les impressionnistes en 1913. Durant la Première Guerre Mondiale, il devient officier de cavalerie dans l’armée impériale et survit au carnage. En 1919, il épouse Charlotte Schalk, fille d’un riche banquier qui lui trouve une place à la tête d’une usine de machines-outils. Le couple s’installe en Suisse en 1924 où Bührle prend les rênes d’une autre usine dans le quartier d’Oerlikon au nord de Zurich. Il choisit d’orienter la production vers l’armement, commerce fort lucratif, et achète le brevet d’un canon à tir rapide qui va faire des merveilles pour sa fortune personnelle. 

L’industriel fournit alors des armes à la France, à l’Angleterre et discrètement en sous-main à l’Allemagne, dès 1933, afin de réarmer la Wehrmacht. Il prend la nationalité suisse en 1937 alors que les choses deviennent un peu tendues. Mais il assume ses prises de position et dès 1940 signe un contrat d’exclusivité avec le IIIème Reich. Sa fortune est estimée à 8,5 millions de francs suisses en 1939, puis à 170,6 millions en 1945. Si les usines de Bührle sont alors inscrites sur les listes noires des Alliés au titre de la collaboration, le commerce reprend rapidement avec l’armée américain en 1947.









A partir de 1937, Emil Bührle voit l’opportunité de réunir une importante collection d’art. Entre 1939 et 1944, il multiplie les achats douteux auprès de la galerie de Theodor Fischer à Lucerne, célèbre notamment pour avoir organisé une vente scandaleuse. 

Le 30 juin 1939, le IIIème Reich vend aux enchères sous la houlette de la galerie, 125 lots comprenant 108 peintures et 17 sculptures saisies dans des collections privées ou publiques, toutes considérées comme relevant de l’Art dégénéré. Gauguin, Van Gogh, Matisse, Picasso, Derain, Beckmann, Chagall, Grosz figurent au catalogue. Et parmi les nombreuses pièces une grande partie a figuré dans l’exposition Entartete Kunst, art dégénéré, qui a voyagé à travers l’Allemagne entre 1937 et 1938.  Le produit de la vente était destiné à soutenir l’effort de guerre et la Wehrmacht à s’armer, grâce aux marchands d’armes comme Bührle. 










Dans la France occupée, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, unité spéciale chargée de piller les collections juives françaises et de les rapatrier en Allemagne pour en faire commerce, a installé son quartier général à Paris au Jeu de Paume. Les marchands d’art suisses profitent très cyniquement de l’aubaine. L'heure est aux affaires juteuses.

A partir de 1940, Theodor Fischer devient l’un des principaux receleurs en contact direct avec l’ERR et propose de véritables chefs-d’œuvre à ses clients dont fait partie Emil Bührle. Celui-ci fait l’acquisition d’œuvres spoliées, « en toute bonne foi » fera-t-il savoir lors de son procès. Néanmoins, des soupçons perdurent. Non seulement, le collectionneur aurait été un acheteur averti mais aussi un partenaire financier de la galerie Fischer. 











Parmi les œuvres volées se trouvent, une toile de Van Gogh dérobée à Myriam de Rothschild, un Degas, propriété d’Alphonse Kann, de multiples tableaux appartenant à la famille Lévy de Benzion et d’autres encore au marchand Paul Rosenberg. C’est ce dernier qui en 1945, à la recherche de ses tableaux volés, fait appel au Tribunal fédéral suisse. 

Bührle est forcé de restituer treize œuvres. Et seulement treize parce que faute de descendants beaucoup ne seront jamais réclamées. Il en rachète neuf aux propriétaires légitimes et s’achète par la même occasion une bonne conscience. En 1948, en toute confiance puisqu’il est désormais fournisseur officiel d’armes pour la puissante nation américaine, il parvient même à obtenir par voie légale un remboursement par le marchand d’art convaincu de collaboration, de ses achats à la galerie Fischer.











L’exposition comporte une salle consacrée aux documents d’archives relatant rapidement les origines des œuvres, le parcours de la spoliation, la restitution, éventuellement le rachat. Ce panorama semble néanmoins édulcorer très sérieusement la trajectoire de Bührle. En 1960, ses héritiers créent une fondation afin de valoriser cet ensemble patrimonial qui est alors présenté au musée Bührle, ancien domicile d’Emil Bührle. A partir de 2006, la fondation se rapproche du Kunsthaus de Zurich au sujet de l’exposition de la collection. A la suite d’un important vol en 2008, les conditions de sécurité n’étant plus assurées, un accord est passé afin que les œuvres soient déposées dès 2021 au Kunsthaus dans une aile nouvellement construite.

La collection Emil Bührle
Jusqu’au 21 juillet 2019

Musée Maillol
59-61 rue de Grenelle - Paris 7
Tél : 01 42 22 59 58
Horaires : Ouvert sous les jours de 10h30 à 18h30, le vendredi jusqu’à 20h30



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.