Lundi Librairie : Requins, caniches et autres mystificateurs - Jean-Gabriel Fredet



Requins, caniches et autres mystificateurs - Jean-Gabriel Fredet : Essai caustique hautement décapant, Requins, caniches et autres mystificateurs annonce la couleur avec un titre clin d’œil aux œuvres phare des artistes contemporains les plus chers. Journaliste d’investigation, correspondant du Nouvel Obs aux Etats-Unis pendant plus de vingt ans, ayant récemment rejoint la rédaction de Challenges, Jean-Gabriel Fredet signe un brûlot terriblement lucide. Il décortique un certain monde de l’art, terrain de jeu d’une caste très exotique pour le tout-venant, les super-riches. Culture de l’entre-soi, pratiques occultes, cette enquête abondamment documentée dénonce les excès et les dérives d’un microcosme aux codes troubles pour lequel l’art est devenu un marqueur social et son marché une nouvelle sorte de place boursière. 

Marchandisation, industrialisation des pratiques, financiarisation à outrance et globalisation par conformisme, alors que critiques et conservateurs de musée participent de la mystification ne serait-ce que par leur inertie, les artistes, plus intéressés par le profit que par la création vont toujours plus loin dans la provocation pour se faire remarquer. Marchands d’art mercenaires, conseillers cyniques, collectionneurs attirés par les possibles profits, les « specullectors », les collectionneurs spéculateurs, ont trouvé dans l’art contemporain un refuge financier pour satisfaire leurs appétits frustrés par les crises boursières.

Plongée dans un monde impitoyable, "Requins, caniches et autres mystificateurs" trace le portrait des grands acteurs du marché, parmi lesquels les personnages les plus flamboyants ne sont pas forcément les artistes. Homme le plus puissant de ce microcosme, galeriste dont la devise est There is no business like art business, Larry Gagosian fait et défait les carrières voire les cotes. Par son écurie sont passés les plus célèbres artistes de notre temps, les plus chers aussi, Damien Hirst, Jeff Koons, Takashi Murakami, Richard Prince. Son chiffre d’affaire s’approche de celui de Christie’s la première maison de ventes aux enchères dans le monde et sa collection personnelle est estimée à 1 milliard de dollars. 

Parmi les collectionneurs spéculateurs, c’est la course aux musées privés entre marketing par l’art et quête de reconnaissance. Eli Broad cofondateur de Kaufman & Broad, a créé à Los Angeles un musée à son nom, The Broad, afin d’exposer sa collection. Les Français ne sont pas en reste avec Bernard Arnault du groupe LVMH et sa fondation Louis Vuitton, François Pinault du groupe Kering et la Douane de mer à Venise ainsi que le futur espace de la Bourse du Commerce à Paris qui doit être inauguré courant 2019. Et quand ces grands collectionneurs ne sont plus aussi actifs, des marchés vierges s’ouvrent, les fortunes du Golfe, les Qataris, les oligarques russes, les nouveaux milliardaires chinois ou brésiliens.

Les chiffres, les stratégies de marché donnent le tournis tandis que Jean-Gabriel Fredet pointe l’opacité des règles du jeu, la circulation de l’argent sale, l’obscénité des sommes astronomiques. Dans cet univers en perpétuelle ébullition, les manipulations du marché par le biais de ventes record s’organisent dans des ventes aux enchères préparées dans les foires telles que l’Armory Show à New York, Art Basel à Bâle, Art Basel Miami, la Fiac parisienne, la Biennale de Venise… La grande illusion de la spéculation réduit les œuvres à leur seule valeur marchande et les artistes qui l’ont bien compris, appliquent les stratégies du marketing, organisent la production en série.

La bulle est au bord de l’implosion, les prix flambent et les turpitudes n’ont plus de limites. Cette enquête sans fard, constat au vitriol, n’épargne personne et décille avec brio les plus ingénus.

Requins, caniches et autres mystificateurs - Jean-Gabriel Fredet - Editions Albin Michel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.