Récit d'un branleur - Samuel Benchetrit : Jeune homme blasé, tendance amorphe, Roman Stern ne fait pas grand-chose de sa vie. On lui a d'ailleurs toujours dit qu'il n'avait pas d'avenir professionnel. Mais il a une bonne tête et attire tous les angoissés en mal de confidences. Dans la rue, au comptoir des cafés, dans la cage d'escalier, des inconnus l'alpaguent pour s'épancher sur leur triste existence, lui raconter leurs malheurs. Malgré lui, par lâcheté plus que par compassion, Roman leur prête une oreille attentive. Sa riche tante Julia, alcoolique notoire, lui demande de veiller sur son précieux caniche, Véra, le temps d'une cure de désintoxication en Toscane. Elle laisse à Roman un gros chèque afin qu'il puisse prendre soin du chien. Le sevrage ne réussit pas à la tante Julia qui ne reviendra pas de son séjour italien. Elle lègue toute sa fortune à des institutions généreuses privant son neveu d'héritage. Mais Roman ne se laisse pas abattre et décide avec l'argent du chèque de monter une agence, La Société des plaintes, qui lui permettra de mettre à profit son étrange don. Ni ami, ni médecin, il devient "écouteur professionnel" auprès de "plaigneurs" toujours plus nombreux auquel il ne donne aucun conseil ni n'apporte aucune aide concrète.
Premier roman de Samuel Benchetrit, Récit d'un branleur porte en lui le germe d'un univers que ses œuvres suivantes développeront. Hérault des solitudes urbaines, l'auteur révèle sous l'humour noir et le pessimisme radical une profonde tendresse pour les paumés de tout bord. Le ton est singulier, la verve corrosive, la sincérité mélancolique. D'une acidité jubilatoire, sa plume vibrante se fait l'écho d'une gouaille proche de l'oralité. Samuel Benchetrit impose une vision spleenesque et cocasse de notre monde, regard lucide, art de raconter les pires horreurs sur une note parfaitement neutre. L'air de ne pas y toucher, il distille ses réflexions en piquantes digressions désenchantées.
Son sympathique anti-héros, absent à lui-même et aux autres, loser magnifique qui revendique ses propres limites intellectuelles, taiseux obligé de supporter la logorrhée sans fin de ses contemporains a fait de l'oisiveté un art de vivre, du détachement existentiel un sacerdoce. En éternel ado, il a choisi l'univers de la débrouille petit-bras plutôt que de se conformer à ce que la société attendait de lui. Dégouté par ses semblables qui l'abreuvent de palabres tristes, Roman aimante les dépressifs du bitume. Comme insensibilisé, il se laisse dériver, préférant regarder passer l'existence plutôt que de la vivre.
Avec un goût pour l'absurde qui renvoie à l'essence même de la condition humaine, Samuel Benchetrit croque des saynètes savoureuses peuplées d'ombres fatiguées par la vie, des personnages dont les névroses prêtent à sourire à défaut d'en pleurer. Sens de la situation, du burlesque, toujours sur le fil entre rire et larme, il trace tout un monde en quelques phrases, évoque un destin en quelques traits aigus. Sensible et cruel, désabusé et réjouissant.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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