Lundi Librairie : Ces rêves qu'on piétine - Sébastien Spitzer - Sélection Cultura Talents à découvrir 2017



Ces rêves qu'on piétine - Sébastien Spitzer : A feu et à sang, l'Est de l'Europe en 1945 est le théâtre macabre des derniers combats. Dans les forêts polonaises, des cohortes de déportés échappés des camps de concentration tentent d'échapper aux troupes allemandes en déroute, à l'hostilité des villageois. Une mère et sa fille, la petite Ava, enfant du block 24-A, celui des esclaves sexuelles du camp d'Auschwitz, sont portées par une farouche volonté de survivre. Elles cachent dans leur maigre bagage un rouleau de cuir qui contient les lettres des déportés, la mémoire des camps. L'Allemagne vaincue, Berlin en proie aux flammes est une ville assiégée. Dans le bunker de Hitler, Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande du Reich, vit, avec six de ses sept enfants, ses derniers jours. Celle qui incarne la figure maternelle du Reich, épouse humiliée, personnalité dérangeante, se souvient de son insondable destin, son opportunisme, son avidité de pouvoir.

Souffle de l'Histoire et puissance romanesque d'un récit crépusculaire, Sébastien Spitzer narre avec virtuosité l'interminable nuit de ces derniers jours. Les ultimes combats, les plus sordides, les marches de la mort, la découverte des camps, les personnalités du régime nazi qui se terrent dans un bunker, s'enfuient, l'auteur qui est également journaliste et historien, livre un premier roman incarné, richement documenté, d'une rare ampleur.

Au travail de recherche, il mêle celui de l'imagination, écriture précise, sans pathos, entrecroisant les fils narratifs au rythme d'un récit tout en tension. Les lettres imaginaires écrites depuis le camp de Buchenwald par Richard Friedländer à Magda Goebbels, sa belle-fille qu'il a élevée, lient intimement les destinées de tous les personnages. Cette correspondance clandestine qui passe de mains en mains, complétée, prolongée par chaque dépositaire est porteuse de vérité. Mots de survie, elle témoigne de l'entêtement à vivre dans un monde privé de sens, de l'amour des siens, du sens du sacrifice. 

La structure narrative se déploie autour des destins entre fiction et faits historiques. La profondeur des personnages s'ancre dans le réalisme du contexte historique. Sébastien Spitzer reconstruit ou invente les protagonistes afin d'explorer le territoire des ombres, celui de la psyché humaine. Il nous plonge dans l'intimité de ces êtres. Cette proximité s'avère troublante lorsqu'il s'agit de figures telle que Magda Goebbels, Médée des temps modernes qui incarne la banalité du mal. 

Expressif, pénétrant, intense, le roman est douloureux, déchirant. Exprimant les doutes, les peurs, les contradictions, l'auteur met en lumière les fragilités humaines. Pour évoquer cette tragédie, il offre la sensibilité de l'écrivain à la rigueur de l'historien. Passeur d'Histoire, Sébastien Spitzer se fait messager du Devoir de Mémoire.




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.