Lundi Librairie : Les blondes - Emily Schultz



Les blondes - Emily Schultz : Isolée dans un chalet à la frontière canadienne, Hazel Hayes, très enceinte, raconte à son ventre les événements qui l'ont conduite à cette situation. Quelques mois auparavant, étudiante à Manhattan, Hazel peine sur une thèse qui ne progresse pas. Son sujet, le rapport des femmes à l'esthétique et les contraintes imposées par la société au travers de leur apparence. Entretenant une vague liaison avec son directeur de recherche, un homme marié, elle découvre qu'elle attend un enfant alors que de mystérieuses attaques se multiplient à New York. Frappées par un virus inconnu, des femmes, toutes blondes, naturelles ou décolorées, se transforment en tueuses sanguinaires. "La furie blonde" se propage rapidement dans le monde entier. Centre de rétention, fermeture des frontières, désinformation médiatique, les mesures prisent par les autorités pour tenter d'éradiquer l'épidémie ne font qu'accentuer la misogynie ambiante tandis que les droits des personnes sont révoqués. 

Roman fantastique, récit catastrophe drolatique, Emily Schultz détourne l'idée de la classique menace zombie et du virus mutant pour tisser une satire apocalyptique. Entre thriller dystopique et chronique intime, l'auteur se joue des codes dans un commentaire sociétal corrosif. Sur la base d'une réalité qui est la nôtre, elle imagine un futur proche où les éléments plausibles de fiction anticipative exacerbent les pires travers de notre société et mènent l'humanité à sa perte.

Dans Les blondes, le corps social change au même rythme que le corps de la femme enceinte. Le récit est mené par Hazel, anti-héroïne nombriliste, centrée sur son univers minuscule et ses préoccupations insipides que traduisent des longs monologues. Pas attachante, voire tout à fait horripilante, la narratrice fait preuve d'une rare apathie alors que le monde est à feu et à sang. C'est de ce paradoxe que naît la fibre comique du roman en opposition à la dimension horrifique de l'épidémie.

Le syndrome de "la furie blonde" - on songe aux crises de la grippe aviaire, de la fièvre Ebola - met en lumière la propension à l'individualisme sécuritaire. Le confinement est obligatoire, les camps de quarantaine se multiplient. Les gouvernements abusent de mesures qui ont pour but de préserver l'ordre public mais réduisent les libertés individuelles. Les événements fictifs du roman entrent en écho avec l'actualité de façon aigüe. 

Le virus imaginé par Emily Schultz libère une forme de colère contenue métaphorique. Les femmes deviennent dangereuses, des créatures violentes, sanguinaires alors qu'elles étaient surtout jusque-là des victimes. Panique, paranoïa, attaques, fuite, rebondissements en tout genre, le roman se pare des attributs du thriller pour développer en sous-texte une véritable critique de la société de l'image, une société où la blonde est un symbole, un standard de la beauté féminine. Les blondes pousse la réflexion sur le sexisme à travers l'idée des apparences interrogeant avec subtilité notre construction du monde. Un livre féministe imparfait, souffrant de certaines longueurs mais intéressant dans son propos.

Les blondes - Emily Schultz - Traduction Eric Fontaine - Asphalte Editions - Edition de poche 10/18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.