A l'angle du boulevard Richard Lenoir et de la rue Moufle, immortalisé par Robert Doisneau, sur une parcelle aiguë, encoche canaille dans la continuité des façades haussmanniennes, se dresse une emblématique brasserie surmontée d'un curieux panache. Sur le toit du bar la Grosse Bouteille, troquet de quartier dans son jus datant du début du siècle dernier, un imposant flacon barbouillé d'un rose vineux attire l'œil des passants et la curiosité des piétons de Paris. Si aujourd'hui la bouteille est plus vétuste que charmante, son histoire ne manque pas d'intérêt.
Vers 1921 Bd Richard Lenoir On aperçoit la bouteille dans le fond en haut à droite |
Carte postale publicitaire datant de 1921 |
Dès 1920-30, des images d'archive atteste de l'existence de la grosse bouteille, un objet publicitaire d'un nouveau genre, surplombant l'établissement. Début des années 1920, un troquet hôtel-vin-café-billard, modeste rez-de-chaussée sans étage attenant à un petit hôtel se lance dans l'aventure de la réclame moderne. Point de mir à l'angle bistrotier avenant, sur son toit est installée une monumentale bouteille de deux mètres de haut frappée aux armes d'une marque d'alcool. Il s'agit probablement, d'après mes recherches, de l'apéritif Quina des Bruyères, Laterre-Delbruyère Gosselies au quinquina (on aperçoit sur la première photo d'époque datant de 1920, ci-dessous, le "erre" de Laterre) dont le nom fut simplifié dès 1935 en Laterre. La société dissoute en 1954, cet alcool a disparu de nos jours.
1920 Bd Richard Lenoir Photo Charles Lanciaux Crédit Musée Carnavalet |
1953 Bd Richard Lenoir Photo Jean Marquis On devine le bas de la bouteille en haut à droite |
Au début des années 50, la bouteille qui a subi les outrages du temps est remplacée par un modèle légèrement différent en plastique. Elle vante alors les mérite d'une autre liqueur le Picon. Dans les années 1970-80, c'est la mode du Mêlé-cassis dit mêlé-cass - eau de vie et sirop de cassis - et du kir - vin blanc crème de cassis, la bouteille devient verte et parade pour la crème de cassis L'Héritier Guyot. Avec la loi Evin de 1991 et la vétusté du matériau, elle est barbouillée, au milieu des années 90, d'une couche de cache-misère bordeaux qui vire au rose avec les intempéries. Sans plus aucun tord-boyaux à vanter.
1961 Photo Robert Doisneau |
1969 Robert Doisneau |
1981 Photo Vania Atanossov |
Marqueurs du quartier insolites, la brasserie et son hôtel attenant, bâtiment sans grand intérêt architectural, meublé d'une dizaine de chambres plutôt décrépites, seront bientôt rasés pour laisser place à un beau jardin largement appelé de leurs vœux par les riverains. Changement des temps, la démolition ouvrira la perspective et dégagera la vue sur l'église Saint-Ambroise tout en permettant un large accès au futur espace vert. Les habitants de l'hôtel seront bien sûr relogés.
Aire végétalisée très attendue reliant les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir, le jardin Truillot se présentera sous la forme d'une coulée verte de 5 600 m2 comportant de vastes pelouses, un verger d'une cinquantaine d'arbres fruitiers, des aires de jeux, un jardin partagé. Le début des travaux est prévu pour le premier semestre 2017 et son inauguration mi-2018.
1995 |
1995 Photo Gérard Lavalette |
Aujourd'hui, se déroule la destruction des derniers bâtiments côté Voltaire tandis que la parcelle côté Richard-Lenoir qui a demandé des tractations supplémentaires pour le déplacement d'un concessionnaire BMW et des négociations à rallonge avec le patron de la Grosse Bouteille, se prépare doucement. Si la bouteille enseigne-publicitaire ne peut pas être restaurée, trop abîmée est donc amenée à disparaître, son souvenir sera conservé dans le futur jardin sous la forme d'une fresque encore à déterminer.
Enseigne La Grosse Bouteille
68 boulevard Richard Lenoir - Paris 11
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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