Dans les années 60, à Trente, un petit commerçant s'inquiète pour sa fille, étudiante en sciences sociales à l'Université. Elle veut refaire le monde, il veut la protéger. Attaché à la tradition, il incarne le bon sens populaire, un pragmatisme humaniste, tandis que Margherita ne rêve que d'idéaux, d'activisme politique et de luttes révolutionnaires. Malgré l'amour inconditionnel qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, leurs visions du monde entre idéologie intransigeante jusqu'à l'aveuglement pour l'une et réalisme contingent pour l'autre vont peu à peu les éloigner. Le père assiste impuissant, au fil des ans, à l'évolution progressive de sa fille qui s'engage dans des prises de position de plus en plus radicales jusqu'à fonder, avec son mari Renato Curcio, les Brigades Rouges, organisation révolutionnaire d'extrême-gauche responsable d'actes de terrorisme dans les années 70 en Italie.
Histoire terrible aux rebondissements douloureux, Angela Dematté trace, entre Histoire et intime, le portrait d'une époque, celle des années de plomb. En suivant le parcours de Margherita Cagol, de la jeune étudiante exaltée à Mara la rouge, l'activiste engagée dans la lutte armée contre le pouvoir, l'auteur par le biais d'une problématique humaine très contemporaine, s'interroge sur les aspirations de la jeunesse : la liberté, l'émancipation, la soif de justice et l'idée d'un destin meilleur. Prenant une distance nécessaire avec le sujet, elle évoque avec force et émotion l'abîme générationnel, la fracture née de l'incompréhension. Lorsque l'amour filial ne suffit plus à dépasser l'endoctrinement d'un engagement politique insensé, l'impossible dialogue entre un père et sa fille conduit à une inéluctable séparation.
De l'appartement des parents à Trente au refuge milanais clandestin du couple d'activistes, la scénographie de Jacques Gabel fait évoluer le décor par glissement dans un mouvement suivant le cours des ans. Les images d'archives projetées sur les murs jouent les rappels pour évoquer l'ambiance survoltée de l'époque soulignant avec intelligence les qualités dramaturgiques et historiques de la pièce. La mise en scène tout en sobriété signée par Michel Didym donne libre court à cet émouvant face à face centré sur la performance des comédiens.
Romane et Richard Bohringer forment un duo d'une rare justesse alliant profondeur, pudeur et sincérité auxquelles se mêlent tendresse et respect. Merveilleuse figure de père, attentif, généreux mais impuissant, Richard Bohringer confère une belle épaisseur à son personnage. D'une grande sobriété, il est formidablement convaincant. Passionaria ardente, Romane Bohringer incarne l'énergie des convictions, la progressive déshumanisation de l'embrigadement avec une finesse remarquable.
Drame humain et historique, J'avais un beau ballon rouge, au Théâtre de l'Atelier, émeut jusqu'aux larmes grâce à la qualité de l'interprétation et la force d'un questionnement social et politique qui résonne singulièrement aujourd'hui.
Mise en scène Michel Didym
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h
1 place Charles Dullin - Paris 18
Réservations et informations : 01 46 06 49 24
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