Un soir d’automne, un vieux garçon rugueux paré de boucles d’oreille est assis sur un banc à côté d’une gamine qui l’aborde en lui affirmant qu’elle vient d’être abandonnée par ses parents. Il a rendez-vous avec un homme croisé sur internet et elle le dérange. La fillette a froid, elle a faim, il faut qu’il s’occupe d’elle puisqu’elle est seule au monde. Alors que l’attente se prolonge, pris de pitié, il accepte qu’elle le suive chez lui dans l’idée de contacter ses parents pour qu’ils puissent venir la chercher, bien décider à s’en débarrasser au plus vite. Mais l’enfant ne l’entend pas ainsi et menace de l’accuser d’horreurs s’il refuse de la garder pour le week-end au moins.
Sur le thème de la rencontre improbable, Léonore Confino prend plaisir à dériver vers autre chose de plus mystérieux. Le poisson belge, c’est l’histoire de deux solitudes qui s’apprivoisent, deux caractères qui s’opposent et se découvrent plus proches qu’ils ne l’auraient imaginé, d’une confrontation résiliente. Un homme blessé, maladroit, est déstabilisé par l’intrusion d’une étrangère, si familière pourtant, une gamine espiègle qui s’imagine que lui poussent des branchies. La pièce raconte comment cette insolite mise en présence est susceptible de délivrer chacun des personnages du poids de leurs souffrances, de soigner les blessures secrètes en s’affranchissant de l’enfance.
Entre symboles freudiens et surréalisme, cette création onirique est peuplée d’un fabuleux bestiaire aquatique, pieuvres, baleines, poissons rouges, qui ajoute à la folle fantaisie du ton loufoque et grave, tout en subtilités et non-dits. L’écriture de Léonore Confino distille une poésie singulière, une plaisante étrangeté à travers des dialogues décalés, drôles et énigmatiques qui s’éclairent progressivement au cours de la représentation. Pensé par Marius Strauss, le décor modulable, appartement devenu aire de jeu, est illuminé dans des tons bleutés d’aquarium. Le plateau s’anime sous l’effet de curieuses ombres chinoises et d’une bande sonore curieuses renforçant l’impression de décalage fantaisiste et troublant. Rêve, réalité, paysage mental ? Où sommes-nous vraiment ?
La mise en scène intelligente et tendre de Catherine Schaub joue avec bonheur à la fois sur le contraste entre les caractères mais également entre les physiques des interprètes qui sont liés par une jolie connivence, une belle complicité. Marc Lavoine dont c’est la première apparition sur les planches depuis ses débuts de comédien, prend des risques avec ce rôle délicat qu’il incarne avec sensibilité. Profond, beaucoup de présence, il apporte d’infinies nuances à son personnage de vieux garçon coincé, aux gestes trop raides de celui qui se maîtrise pour ne pas laisser apparaître ce qu’il est réellement. Derrière les tourments de cette haute silhouette masculine, la fragilité de la créature meurtrie, angoissée, malade de solitude. Géraldine Martineau gravement blessée pendant les répétitions, bras attelé, n’en laisse rien paraître tant elle irradie sur scène. Petite fugueuse, vieux sage, exquise silhouette juvénile au discours d’une maturité frappante, elle est intense et malicieuse, toujours juste et vive dans cette composition d'adulte incarnant une enfant.
Fulgurances et dénouement superbe, Le poisson belge, pièce ambivalente, tendre et féroce, s’interroge avec poésie sur l’identité. Plaidoyer sensible pour le droit à la différence, ce songe étrange recèle une puissance émotionnelle rare. Magnifique moment.
Mise en scène Catherine Schaub
Avec Géraldine Martineau et Marc Lavoine
7 rue Louis le Grand - Paris 2
Réservations : 01 42 61 44 16
Enregistrer un commentaire