Ceux qui fréquentent le métro parisien connaissent bien la morosité du monstre tentaculaire qu’est la station Châtelet. Peu plaisante en temps normal, elle est en ce moment - et jusqu’en février 2015 si tout se passe bien bien - en plein travaux de rénovation. Un lifting d’envergure touchant l'ensemble du réseau métropolitain. La RATP poursuit un programme de modernisation entamé en 1998 planifié sur 25 ans, le plus important depuis sa construction en 1900. Et ce réaménagement du sol au plafond ne va pas sans quelques nuisances. Couloirs de correspondance et quais subissent tour à tour un décapage visant à démonter revêtements, carrelages, éclairages remplacés au fur et à mesure dans une joyeuse cacophonie visuelle. Petite anecdote, les célèbres carreaux blancs biseautés dont le modèle original a été produit par la faïencerie de Gien, seront bientôt de retour dans toutes les stations. En attendant, le métro nouvelle version, les usagers se déplacent à travers un dédale poussiéreux de murs lépreux ou fraîchement bétonnés parcouru de câbles électriques pendouillant mollement sous une lumière provisoire blafarde. Châtelet en pleine métamorphose est particulièrement sinistre sous ce jour sans ciel. La silhouette jaune soleil d’un chat bien connu des Parisiens vient éclairer la grisaille, matois matou hilare à l’éternel sourire communicatif. En compagnie du new-yorkais Quik, M. Chat flâne parmi les gravats, bondissant au détour d’un couloir, saluant d’une grimace amicale et familière les usagers du métro.
Le chat de Thoma Vuille, artiste franco-suisse originaire d’Orléans, a plus l’habitude des grands espaces et des vagabondages sur les toits que des souterrains claustrophobes. Les neuf vies sont bien nécessaires à qui veut atteindre cheminées et gouttières en d’improbables acrobaties afin d’illuminer d’une présence bienveillante les cimes de la cité. La nonchalance féline de M. Chat s’approprie le territoire urbain, espace d’expérimentation et d’expression, au fil de ses tribulations poétiques et comme un jeu de piste narratif, les interventions de Thoma Vuille racontent une ville différente sous le regard des citadins. Une histoire proche de tous ceux qui suivent les pérégrinations de ce futé greffier. Le street art, art du surgissement, laisse la trace des touches de poésie que les artistes disséminent au gré de leur parcours. Emblème de bienveillance d’une naïve simplicité, M. Chat est un clin d’œil optimiste ou contestataire, expression d’un état d’esprit, d’aspirations philosophiques pacifiques et libertaires.
En 1997, Thoma Vuille, ancien élève des Beaux-Arts, intervient dans des ateliers de dessin à la périphérie d’Orléans. Une petite fille pakistanaise en difficultés scolaires dessine pour lui un chat souriant. C’est la première apparition sous les doigts d’une enfant de celui que les Américains vont surnommer bien plus tard The Grinning Cat, une figure féline qui n’est pas sans rappeler le chat du Cheshire de Lewis Carroll. La fillette était-elle l’Alice de Thoma ? Peinture acrylique, graphisme simple, M Chat part rôder sur les murs la nuit, tout d’abord à Orléans sa ville natale puis il fait son apparition à Blois, Tour, Nantes, Rennes, Saint-Etienne, La Rochelle. En 2000, il débarque à Paris et Thoma Vuille réalise près de 80 fresques sur le parcours Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans qui traverse la ville du nord au sud. Icône moderne, compagnon clandestin de milliers de citadins qui tous les jours croisent son chemin, le chat apprend à voler en 2003 et des ailes lui poussent. La rencontre avec le réalisateur Chris Marker va profondément marquer son travail et sa vie personnelle. En 2004, le film Chats perchés donne une nouvelle forme de reconnaissance à M. Chat. Projection au Centre Pompidou et réalisation du plus grand chat du monde sur le parvis de Beaubourg, Libération va même jusqu’à confier au duo un numéro spécial dans lequel l’artiste urbain et le réalisateur-poète s’expriment librement.
Fin mars 2007, Thoma Vuille est arrêté en pleine intervention par la police municipale d’Orléans. Procès, amende de 300 euro et mise à l’épreuve. Lui qui tenait beaucoup à son anonymat, décide de sortir de la clandestinité et de vivre de son art. Il se rapproche du pop art et du land art moins marginalisé dans la pratique, réalise des toiles, un support fort différent pour cet amoureux de la rue. Les institutions culturelles, musées, galeries l’accueillent à bras ouverts. Les grincheux lui reprochent d’avoir compromis sa ligne poétique forte en marketant le personnage de M. Chat à travers des installations officielles tel que le partenariat avec la mairie d’Orléans - un maire de droite et un street artist, ça fait grincer des dents - et la production de produits dérivés, goodies distribués en Asie notamment en Corée. Les donneurs de leçon qui lui reprochent son côté Hello Kitty oublient un peu vite que pour vivre sa passion, Thoma a tout lâché et que cela faisait dix ans qu’il bénéficiait des minimas sociaux. Aujourd’hui, son nouveau statut lui permet de s’adonner à la création sans les problèmes liés à la grande précarité et de poursuivre sereinement ses actions solidaires dans des écoles ou comme récemment dans un institut prenant soin d'enfants autistes. Heureusement, la polémique n’empêche pas M. Chat de poursuivre son chemin dans la rue et de venir nous rendre visite dans des lieux urbains sans gaieté auxquels il redonne couleurs et bonne humeur comme cette fameuse station Châtelet.
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