Lundi Librairie : Les bonnes intentions - Agnès Desarthe


Sonia et Julien achètent ensemble leur premier appartement, leur premier chez eux où fonder une famille. Elle est traductrice, travaille à la maison. Introvertie, anxieuse, apparemment fragile, elle doute souvent d'elle-même. Il est architecte, sûr de lui, serein. Les années passent, un enfant nait puis un second. Le voisin de palier, M. Dupotier, s'est retrouvé de plus en plus esseulé et vulnérable après le décès de son épouse puis la disparition de son fils. Ne demeure sa belle-fille qui lorgne avec avidité le bel appartement dont le vieil homme est propriétaire. En attente d'un héritage qui tarde, elle a confié au couple de gardiens la charge de veiller sur son beau-père. Cette surveillance a progressivement tourné à la maltraitance. Séquestré chez lui, pas nourri, le vieillard dépérit dans l'indifférence générale. M. Dupotier vient un jour frapper à la porte de Sonia. Face à lui, visiblement désorienté, affamé, elle fait preuve de la plus élémentaire humanité et lui apporte du réconfort en lui offrant à manger. À partir de ce moment, il revient la voir régulièrement. Désormais, Sonia se sent responsable du devenir du vieil homme, au grand dam des concierges. Mais elle est tiraillée entre sa première impulsion, intervenir, et le désir de préserver sa propre quiétude, son petit confort en ne se mêlant pas des affaires des voisins. 

Roman publié en 2000, "Les bonnes intentions" aborde de premier abord le thème de la solitude des personnes âgées, la fragilité du grand âge. Plus largement, dans un récit introspectif nourri de réflexions menées par la narratrice, Sonia, Agnès Desarthe capture la réalité d'un microcosme, immeuble en copropriété, véritable société résumée en quelques étages. À travers ce tableau du vivre ensemble et de la cohabitation, elle évoque l'expérience de l'altérité à un niveau élémentaire quotidien, interrogeant le facteur humain dans le choix d'un logement. La romancière peint une galerie de personnages, miroir tendu à notre humanité, la dame au chien, le président du conseil syndical, les petits vieux, l'effroyable couple de concierges, caricature de la bêtise crasse associé à la cruauté et au racisme décomplexé, en pleine montée de l'extrême-droite. Détenteur d'un petit pouvoir, ils font régner la terreur. Face à eux, Sonia et l'ensemble des résidents doivent faire un choix : répondre aux sollicitations du vieux monsieur esseulé ou laisser faire par indifférence, par lâcheté.

Sonia se confronte à des résistances inattendues quand elle décide d'aider le vieillard. Pour lui avoir apporté son attention, dans un renversement de situation cruel, elle devient la cible des brutes. Les luttes intestines, petites mesquineries du quotidien, tournent au conflit ouvert dans un déchaînement de haine antisémite. Torturée par l'héritage des peurs, les leçons de l'Histoire, Sonia ne ressent que découragement. L'envie de déménager pour éviter la confrontation, les persécutions se fait de plus en plus sentir. L'idée de cohabiter avec ce nouveau visage des voisins, ceux qui ne prennent pas parti, font semblant de ne rien voir, laisse faire, devient insoutenable. Les comportements et abus variés révèlent l'intolérance et toutes les ambiguïtés de l'âme humaine, confrontation vertigineuse à la réalité. Intrusion de la violence, surgissement des vieux démons.

Dans une société percluse d'ambiguïtés, d'incertitude, Agnès Desarthe montre les limites de la générosité, de la bienveillance, de l'attention portée aux autres. Ici, les bonnes intentions ne paient pas.

Les bonnes intentions - Agnès Desarthe - Éditions de l'Olivier - Poche Points