Lundi Librairie : L'épidémie - Åsa Ericsdotter

 

Johan Svard premier ministre de la Suède, leader mégalo du Parti de la Santé a été élu sur la promesse d’éradiquer ce qu’il estime être le grand fléau cause de tous les maux de la société : l’obésité. Afin que la Suède devienne le pays le plus sain d’Europe, son gouvernement a multiplié les mesures, privant peu à peu les citoyens de leurs libertés individuelles au nom de la santé publique. Désormais les églises ont été réhabilitées en centres sportifs. Les médias diffusent à longueur de journée des messages d’injonction à la minceur. Les chirurgies bariatriques sont subventionnées par l’Etat à partir de sept ans. Les enfants en surpoids ont été placés dans des classes spéciales. Les adultes sont contraints à des visites régulières dans des centres de régime. A la suite de la création d’un registre national du poids, les personnes obèses sont soumises à un impôt supplémentaire. Dans l’administration et la fonction publique, les personnes dont l’IMGM, indice de masse grasse et musculaire, est supérieure à 42 sont licenciées au profit d’autres plus minces pas forcément aussi qualifiées. Ainsi Gloria, universitaire et autrice reconnue, récalcitrante au moindre programme d’amaigrissement, est débarquée sans ménagement.

L’un de ses pairs, Landon, chercheur spécialiste des Etats-Unis qui travaille à l’université d’Uppsala, bon vivant charpenté, échappe à la purge de justesse avec un IMGM de 41. Hanté par l’horrible fin de son ex compagne, qui a sombré dans l’anorexie et s’est laissée mourir de faim, il décide de s’échapper de ce climat délétère. Il trouve refuge à la campagne dans l’ancienne maison de ses parents. Landon y fait la connaissance de ses nouvelles voisines, Helena, infirmière remerciée par l’hôpital public pour cause d’obésité et sa fille Molly, dix ans dont la surcharge pondérale en faisait la cible à l’école de toutes les nouvelles directives. A six mois des élections, Johan Svard brûle de présenter un bilan spectaculaire de sa politique. Mais les chiffres sont décevants. Il opte alors pour une radicalisation du processus. Helena est enlevée en pleine nuit par des agents de la sécurité sanitaire. Les disparitions inquiétantes de personnes en surpoids se multiplient dans tout le pays.

Thriller haletant écrit en 2016, « L’épidémie » décrypte avec une acuité troublante l’engrenage implacable du pire. Åsa Ericsdotter signe une politique-fiction très sombre dans un pays réputé pour sa qualité de vie. Elle décrit la Suède en proie à la tentation du totalitarisme dans un pamphlet incendiaire qui prend prétexte d’une dérive ubuesque de préceptes bien-être absurdes. Ce brûlot amer sur le délitement de la démocratie et les mécanismes du totalitarisme s’insurge contre notre société de l’image et du paraître, mais vient surtout en sous-texte questionner la réalité de la démocratie en danger face aux montées des populismes, le repli sur soi, le rejet de l’altérité et la restriction des libertés individuelles en période de crise au nom du bien public. 

« L’épidémie » valide toutes les bornes de la chute vers le totalitarisme : contrôle des médias, propagande agressive, culte de la personnalité autour d’un leader charismatique illuminé, fichage des individus, montée de la haine et persécution de boucs émissaires désignés, renoncement aux libertés élémentaires, endoctrinement dès le plus jeune âge, programmes scolaires reformatés. Ici, l’injonction à la santé, nouveau fascisme, prend pour cible les obèses. Ostracisées les victimes démunies, en état de sidération, ne se rebellent pas face aux répressions. Privés de leur emploi, bientôt de leur logement, mis au banc de la société, ils sont traqués, dénoncés, internés. L’Etat emploie des méthodes dont la brutalité, l’inhumanité, la violence rappellent les plus sombres heures de l’Histoire. Injonction à la vigilance, cette dystopie s’avère d’autant plus glaçante qu’elle porte en elle la puissance de la crédibilité.

L'épidémie - Åsa Ericsdotter - Traduction Marianne Ségol-Samoy - Editions Actes Noirs Actes Sud - Poche Babel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.