La plasticienne Vanina Langer investit les 800m2 du Garage Amelot. L’installation « Faire l’autruche, je ne sais pas si c’est la poule ou l’œuf et Marguerite non plus » marque l’aboutissement de trois années de travail. Le dispositif d’exposition expérimental ouvre le dialogue entre l’espace et les différents modules. La monumentalité converse avec la délicatesse de microcosmes minuscules, invitation à s’approcher pour que soient révéler ces bouillons originels dont jaillit la vie. Vanina Langer explore les relations de l’être humain à la nature. Elle convoque la charge émotionnelle des souvenirs, leur puissance sensorielle. Elle distille par touches subtiles l’humour tout autant que la mélancolie, la fantaisie onirique ou le sérieux d’un propos engagé. Art total, expérience troublante, Vanina Langer s’émancipe des frontières, embrasse l’espace et le temps. Elle multiplie les techniques : installation, dessin, collage, peinture en relief, mobiles, poésie, bande sonore musique électro, design culinaire, oeuvre olfactive. L’artiste déploie un foisonnement de motifs explicites ou dont le sens demeure caché, sujet à interprétation, immersion dans des imaginaires polymorphes. L’accumulation des formes propage les cycles infinis d’un élan vital. Les références sont reproduites, démultipliées comme autant de projections métaphoriques. Les récits tissés, retissés, se réinventent sans cesse dans un processus ondulatoire hypnotique.
Vanina Langer investit les friches et les espaces alternatifs tout autant que les galeries. Ces œuvres racontent des histoires de hors-champs, portes ouvertes vers des inconnus poétiques. Les motifs récurrents, explorés jusqu’à l’éclatement sont les clés d’une échappatoire onirique. La structure d’ensemble en perpétuelle évolution invite à dépasser les notions de frontière, de chronologie, de hiérarchie. Sans début ni fin, la prolifération se veut immanente et autonome, liberté revendiquée, absence de cloisonnement entre les éléments intriqués, accumulés.
Circuler dans l’espace du Garage Amelot permet de saisir certaines ramifications de l’installation. Jaillissement du merveilleux, de l’étrange et du bizarre parfois jusqu’à l’inquiétant. Vanina Langer déconstruit les plans dans un grand mouvement d’exploration. La femme-liane fait lien entre les récits. Sorcière bienveillante, elle veille sur cet univers, détentrice de la connaissance, fil rouge conducteur. La liane rassemble, enlace ces figures de chair devenues icônes que sont l’Infante Marguerite échappée d’un tableau de Velasquez, Cléopâtre la femme-soleil ou bien encore les Trois Grâces tandis que la disparition des visages annonce celle des images.
Pour « Faire l’autruche », Vanina Langer s’est inspirée de la scénographie du tableau « Les Ménines » de Diego Velasquez peint en 1656, chef d’oeuvre du baroque espagnol conservé au Musée du Prado à Madrid. Cette toile représente, entourée de sa suite, Marguerite-Thérèse d’Autriche infante d’Espagne, fille de Philippe IV d’Espagne et de Marie-Anne d’Autriche, sa propre nièce épousée en secondes noces. Cette consanguinité mènera la dynastie des Habsbourg à sa perte. La composition complexe, énigmatique de l’oeuvre se développe en plans successifs. Au fond, une porte ouverte marque un point de fuite lumineux tandis qu’à côté dans un miroir se reflète le couple royal. Le tableau joue sur l’incertitude de la relation entre celui qui regarde le tableau et les personnages peints, questionnant ainsi le lien entre réalité et illusion.
La plasticienne interroge le développement d’une culture contre nature qui s’inscrit dans la destruction des environnements. Les sociétés humaines déconnectées de leur biotope originel entrent dans un processus d’expansion qui dévastent les espaces naturels dont dépendent la vie. L’infante Marguerite, fruit d’une alliance consanguine, représente cet atavisme d’une culture contre nature. Elle porte en elle la dimension tragique d’un destin tout tracé, monnaie d’échange, reproductrice couverte de dentelles, dont le seul but sera de perpétuer l’espèce. Symbole des assignations et injonctions sociétales imposées aux femmes, l’Infante sacrifiée est réinventée par Vanina Langer, libérée pour incarner une nouvelle forme d'émancipation.
Au Garage Amelot, les modules de l’installation « Faire l’autruche » reprennent la disposition du tableau de Velasquez dans un propos intrigant qui ne se livre pas instantanément. Marguerite, l’œuf et l’autruche, Cléopâtre la femme-soleil, Vanina Langer hybride les motifs, lance des lianes, des liens entre les mythes retissés à l’aune de sa fantaisie. Culturellement, il est admis que l’autruche se cache la tête dans la terre quand elle a peur. D’où l’expression faire l’autruche, se cacher le danger ou la vérité à soi-même. La réalité est tout autre pour cet animal dont la taille imposante et les qualités athlétiques ne le destinent pas à être une proie. La croyance n’a pas de sens. En réalité, l’autruche creuse son nid sous la terre. Lorsqu’elle plonge sa tête dans le trou, c’est pour prendre soin de ses œufs enterrés hors de portée des prédateurs.
Cascade de cheveux dorés, cou ployé, l’Infante imaginée par Vanina Langer s’inscrit dans un parallèle troublant entre l’oiseau et la princesse qui fait l’autruche, refusant de faire face à son destin peut-être. En se glissant sous la robe à paniers, en s’immisçant dans le nid de l’autruche, le visiteur découvre que Marguerite-Tina n’a plus de visage. Sous l’amoncellement de dentelle et d’étoffes, le corps de la princesse est devenu paysage. Désormais les courbes de la colline se confondent avec celles de la femme, échange de flux, d’énergie entre la terre et la créature, recherche de protection auprès d’une nature nourricière. Emancipation fusionnelle.
Faire l’autruche, je ne sais pas si c’est la poule ou l’œuf et Marguerite non plus - Vanina Langer
Finissage le 25 mai à 17h
Clôture Petit déjeuner le 26 mai 10h/12h30
Visites sur inscription : Du lundi au vendredi à 16h30 ou 17h30 - Le samedi et le dimanche à 11h - 14h - 16h30 ou 17h30 - Possibilité d’organiser des visites en groupe
Garage Amelot
2 passage Saint-Pierre Amelot - Paris 11
Exposition-évènement produite par le collectif QUELQUE-CHOSE DE NEUF
Texte d'exposition Grégoire PRANGÉ
Soutenu par PLATEAU URBAIN
Un projet construit entre 2018-2021, chez Igor, au PRéàVIE et à la Drawing Factory
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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