Lundi Librairie : Beautiful Boy - Tom Barbash


New York août 1979. Jeune diplômé de Columbia, Anton Winter vient de passer un an au Gabon avec le Peace Corps. Frappé par le paludisme et la dysenterie, il a failli mourir. Rapatrié aux Etats-Unis, il a mis ses aspirations humanitaires entre parenthèses. Anton est contraint de se refaire une santé chez ses célèbres parents qui habitent le Dakota Building, un immeuble très privé qui abrite tout ce qui se fait de mieux dans l’industrie du spectacle. Ils ont pour voisins Leonard Berstein, Boris Karloff ainsi que John Lennon et sa famille. Les parents d’Anton très glamour sur le papier sont en réalité au creux de la vague. Buddy Winter, le père, charismatique animateur vedette d’un talk-show, a claqué la porte des studios en direct devant des millions de téléspectateurs. Il peine à se remettre d’un burn out et d’une dépression. La mère, ancienne actrice, qui soutient activement la campagne de Teddy Kennedy pour l’investiture Démocrate, songe à se remettre au travail alors que les économies de la famille s’épuisent. Rachel, la sœur aînée rebelle et Kip, le petit frère champion de tennis s’inquiètent. Buddy compte sur le retour de son fils pour relancer sa carrière et remonter la pente en créant une nouvelle émission. Anton hésite à redevenir l’assistant de son père, son plus proche collaborateur, son ombre au risque de s’oublier lui-même. Au cours de sa convalescence, il se lie d’amitié avec John Lennon à qui il apprend les rudiments de la voile. Proposer à l’ancien Beatles retiré dans le silence depuis des années, d’apparaître dans le pilote du nouveau show de Buddy pourrait séduire les chaînes et convaincre les producteurs d’investir.

Dans cette saga familiale inspirée, Tom Barbash entremêle avec art la réalité et la fiction. Le titre original The Dakota Winters, plante le décor, clin d’œil au nom du narrateur et à l’immeuble mythique à l’angle de la 72ème rue et de Central Park West, immortalisé dans le film « Rosemary’s Baby ». Cette enclave dorée, sorte de village vertical est alors peuplée de célébrités et de gens qui comptent dans le show-business. Les groupies ne quittent pas le trottoir espérant voir passer une star ou l’autre. 

Tom Barbash traduit en images vives et incarnées la fin d’une époque, la mélancolie paradoxale dans un New York en pleine transformation, ville effervescente, dangereuse, gangrénée par la violence. En toile de fond, les éléments d’actualité, les grèves du ramassage des ordures, les émeutes à Miami, les otages américains en Iran dont Jimmy Carter n’obtient pas la libération, aux Oscars « Kramer contre Kramer » qui vole la vedette à « Apocalypse Now » recontextualisent le récit avec force. La ville qui ne dort jamais bouillonne artistiquement tandis que dans ses clubs mythique les nuits folles se prolongent jusqu’à l’aube, soirées punk et new wave, derniers hippies et premières paillettes des années 1980. Au gré de la narration, les acteurs, les musiciens, les sportifs, les stars de la télé, Mick Jagger, Gore Vidal, Lauren Bacall, Norman Mailer, Katherine Hepburn font des apparitions dans le plus grand naturel. Pénétrant dans les coulisses, Tom Barbash interroge la notion de célébrité, les doutes, la poudre aux yeux et les désastres intimes.

Se penchant sur les liens de filiation, le romancier décrypte avec nuances les rapports complexes père-fils entre Buddy, le surdoué brillant, l’égoïste dans la lumière et Anton le narrateur, tout aussi brillant mais préférant l’ombre. Le père, tendre, drôle, cynique remonte difficilement la pente. Le fils qui hésite à s’impliquer par peur de se perdre dans cette symbiose mais souhaite néanmoins pleinement le soutenir dans ses démarches, l’épauler. 

Les personnages brossés avec une grande sensibilité s’éclairent particulièrement dans la lumière de dialogues ciselés, où l’humour et l’émotion s’expriment avec finesse. Par le biais du regard mêlé d’affection et admiration que pose Anton sur John Lennon, Tom Barbash redonne à l’artiste, pas tant à la légende qu’à l’homme, sa malice, son intelligence aiguë, son charme. Sur le récit plane l’ombre de l’assassinat le 8 décembre 1980 par un déséquilibré. La traduction française du roman de Tom Barbash emprunte son titre « Beautiful boy » à une chanson de John Lennon dédié à son fils Sean dans son dernier album. Le 9 octobre 2020, il aurait eu quatre-vingt ans.  

Beautiful Boy - Tom Barbash - Traduction Hélène Fournier - Editions Albin Michel - Collection Terres d’Amérique 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.