Expo Ailleurs : William Kentridge - Un poème qui n'est pas le nôtre - LaM - Villeneuve d'Ascq - Prolongation jusqu'au 13 décembre 2020



Première grande exposition en France dédiée à l’oeuvre de William Kentridge, plasticien et metteur en scène sud-africain, « Un poème qui n’est pas le nôtre » retrace quarante ans de pratique artistique. Organisée en lien avec le Kunstmuseum de Bâle, cette rétrospective d’envergure se tient au LaM jusqu’au 13 décembre 2020.  Le parcours sensoriel, spectaculaire de l'événement exceptionnel se déploie des premiers décors de théâtre aux dernières installations monumentales.  Le travail de William Kentridge, empreint d’humour et de poésie, semble indissociable d’une trajectoire personnelle militante. Ancré dans notre temps, les grandes problématiques de notre époque, il est marqué par un engagement politique et philosophique rigoureux qu’irrigue la tragédie de la terre natale déchirée. L'artiste sonde inlassablement les mêmes thématiques douloureuses, l’apartheid, la décolonisation, les conflits politiques, les guerres, les inégalités. Il porte un regard critique sur le monde sans se départir d’une autodérision salvatrice et d’une certaine mélancolie poignante. Dessins, gravures, sculptures, tapisseries, performances, films d’animation, installations, vidéos rendent compte de l’amplitude d’une recherche pluridisciplinaire, d’une aisance naturelle dans chaque médium abordé. Invité à de nombreuses reprises à la Biennale de Venise, à la Documenta de Kassel, représenté au Kunstmuseum de Bâle, à la Tate Modern de Londres ou encore au MoMa de New York, William Kentridge a été récompensé en octobre 2019 par le Praemium Imperiale.











Prolifique, William Kentridge lance des passerelles entre les arts, art plastique, cinéma, arts du spectacle. La musique et la théâtralité imprègnent profondément une oeuvre expressive, foisonnante, totale. Au sens aigu de la narration, le plasticien accorde un militantisme éclairé, une conscience de l’histoire et de l’universalité du trauma soulignés par son goût du burlesque. Il puise son inspiration aux sources de l’expressionnisme allemand, du constructivisme russe, du surréalisme ou du dadaïsme auquel il emprunte volontiers les dimensions de l’absurde et de la subversion. 

Films diffusés dans des cabines en bois, décors éphémères, dessins tracés sur les murs, installations mécaniques, reconstitution de l’atelier de l’artiste, au LaM, l’oeuvre de William Kentridge se fait immersive, puissante, englobante. Sabine Theunissen, complice de longue date de William Kentridge, a imaginé une scénographie qui rend hommage à la vision poétique et critique de l’artiste, véritable fresque politique et sociétale. Les commissaires d’exposition, Marie-Laure Bernadac, conservatrice générale honoraire du patrimoine, Sébastien Delot directeur conservateur du LaM, présentent un art engagé, accessible au propos puissant. Les grandes installations synthétiques de William Kentridge, œuvres spectaculaires et théâtrales distillent la force d’émotion, la sensibilité d’un travail de mémoire qui nous parle de la condition humaine. 

William Kentridge est né à Johannesburgh en 1955, dans une famille juive d’origine lituanienne réfugiée en Afrique du Sud au début du XXème siècle pour fuir les pogroms. Ses parents, Sydney et Felicia Kentridge, avocats et activistes anti-apartheid ont toujours été proches des milieux littéraires engagés, de Nadine Gordimer ou de JM Cotzee. Le père, Sydney Kentridge a notamment défendu Nelson Mandela lors du procès historique du Treason Trial en 1955, au cours duquel 156 membres du Congrès national africain ont été accusés de haute trahison par le gouvernement sud-africain. Le procès a duré six ans, les six premières années de la vie de William Kentridge. « J’ai suivi toute ma scolarité dans une société anormale où il se passait des choses monstrueuses », explique l’artiste. Cette prise de conscience précoce le mène sur le chemin d’un engagement au long cours.











A l’âge de vingt ans, alors qu’il poursuit des études de sciences politiques, William Kentridge est tenté par le théâtre. "Au départ, je me voyais peintre, mais, très vite, je ne me suis pas senti à la hauteur ; alors, j’ai voulu être acteur, mais là aussi, j’ai compris que je n’atteindrais jamais l’excellence". S’il sait qu’il ne se produira pas sur scène, il ne renonce néanmoins pas à la pratique. A Paris, il suit de 1981-82 une formation au mime à l’école Jacques Lecoq.  

Les décors de la pièce « Sophiatown » créée par la compagnie théâtrale cofondée par l’artiste ouvre le parcours du LaM. Amplitude du trait, vivacité, omniprésence de la musique, cette oeuvre de jeunesse datant de 1989 reflète les futurs engagements plastiques, esthétiques et politiques de William Kentridge. Ces grands cartons évoquent l’histoire, au début des années 1950, de l’un des derniers quartiers mixtes de Johannesburg, l’un rares où l’accession à la propriété était encore possible pour les Noirs. Sophiatown, creuset culturel, et berceau du jazz d’Afrique du Sud a été détruit en 1955 par la politique d'apartheid. Le gouvernement décide alors de déplacer de force 65 000 résidents noirs de Sophiatown vers le nouveau township de Soweto (South Western Township). Le quartier originel est rasé pour être reconstruit. Rebaptisé Triomf (triomphe en afrikaans), le nouveau faubourg devient une banlieue blanche. En 2006, Amos Masondo, le maire de Johannesburg redonne officiellement son nom de Sophiatown au quartier en présence de nombreux personnes expulsées en 1955.

En 1992, William Kentridge s’associe avec la Handspring Puppet Company, troupe de marionnettistes au Cap, et monte la pièce « Woyzech » de Georg Brühner. Il choisit de transposer l’action dans les mines sud-africaines. Le succès de ce spectacle lui permet de créer avec cette même compagnie son premier opéra, « Le retour d’Ulysse » de Monteverdi. Remarqué en tant que metteur en scène, William Kentridge est appelé par les grandes salles internationales pour créer « La flûte enchantée » de Mozart, « Le nez » de Chostakovitch, « Lulu » d’Alban Berg. La musique infuse durablement son travail. 











Les films d’animation artisanaux que produit William Kentridge sont exécutés au fusain. Les images facilement effacées, modifiées prolongent dans leur expression formelle l’idée du travail de mémoire. Dans la reconstitution de l’atelier de l’artiste, carnets à foison, dessins grandeur nature, sculptures en papier plié convoquent le processus créatif qui donnera naissance à une oeuvre.  « 7 fragments pour Georges Méliès, un voyage dans la lune », film de 2003, célèbre le cinéma onirique d’un précurseur en expérimentant des trucages inventifs, un système D poétique. William Kentridge traduit ses rêveries en images, tandis que les fourmis tracent à l’écran des constellations, et qu’une cafetière s’envole vers la lune. 

Présenté à la Tate Modern à Londres en 2018 à l’occasion des célébrations du centenaire de l’armistice de la Première Guerre Mondiale, « The Head & the Load », La Tête et la Charge, a été créée avec le compositeur Philip Miller et Thuthuka Sibis. Cet opéra visuel rend hommage aux millions de victimes africaines, engagées malgré elles dans un conflit entre les puissances coloniales qui ne les concernait pas. Soldats, porteurs, enrôlés de force, morts de maladie, chair à canon, disparus dans les tranchées de la Marne, William Kentridge fait oeuvre de mémoire pour ceux que l’histoire voudrait oublier. Au LaM, la maquette animée de ce spectacle, création autonome intitulée « Kaboom », est composée d’un montage de dessins, cartes, paysages et de projections d’ombres.

Dans la lignée de ce même engagement politique, le film « Ubu tells the truth » est extrait de la pièce éponyme écrite par Jane Taylor, inspirée par les auditions menées en 1995 par la Truth and Reconciliation Commission, la Commission vérité et réconciliation, au sujet des exactions et les violations aux droits de l’homme menées par le gouvernement durant l’apartheid. Le spectacle joué en 1997 par la Handspring Puppet Company fait directement référence au théâtre d’Alfred Jarry. William Kentridge en signe la mise en scène et les séquences animées qui traduisent l’horreur et le désarroi, l’impuissance et la culpabilité.  












L’installation « O sentimental machine » 2015, créée à l’occasion de la 14ème Biennale d’Istanbul retranscrit dans un espace fermé l’antichambre d’hôtel où séjourna Trotski lors de son exil en Turquie de 1929 à 1933. Films d’archives, défilés, discours inédit de Trotski, et fiction humoristique ayant pour héroïne la secrétaire débordée de l’homme politique, Evgenia Shelepina, compose une oeuvre plurielle pas exempte d’une joyeuse dérision.

Pièce maîtresse de l’exposition, présenté en premier lieu à la Documenta 13 de Kassel, « The refusal of Time » (2012), est le fruit de la rencontre de William Kentridge avec le compositeur Philip Miller et l’historien des sciences de l’université de Harvard Peter Galison. Installation machine, film immersif, opéra baroque, performance vibrante, cette oeuvre remet en question la perception du temps. L’artiste s’intéresse à la distorsion de l’espace-temps engendré par la simultanéité de la représentation, le ralentissement, l’accélération la fragmentation du processus créatif et de la narration. Une expérience unique.









« Triumphs and Laments » grande fresque éphémère réalisée en 2016 à Rome sur les rives du Tibre fait se côtoyer les figures martiales des empereurs romains et les images des premiers martyrs chrétiens, les silhouettes des partisans arrêtés par le régime fasciste de Mussolini et les très contemporaines embarcations des migrants. En mezzanine, le LaM présente un espace dédié aux sources d’inspiration de l’artiste, le mouvement dada, le constructivisme. Désormais passeur, en 2017, William Kentridge a souhaité mettre en place un incubateur pour les jeunes artistes, The Centre for the Less Good Idea – Le centre de la moins bonne idée. 

William Kentridge Un poème qui n’est pas le nôtre
Prolongation jusqu’au 13 décembre 2020

LaM, Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut
1 allée du Musée - 59650 Villeneuve d’Ascq
Tél : 03 20 19 68 68
Horaires : Du mardi au dimanche de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.