Expo : Juifs du Maroc, 1934-1937. Photographies de Jean Besancenot - Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Jusqu'au 2 mai 2021



L’exposition « Juifs du Maroc, 1934-1937. Photographies de Jean Besancenot » rend hommage au saisissant travail d’un homme épris d’un pays et d’un monde désormais disparu. L’important corpus photographique légué par Besancenot documente avec une profusion de détails esthétiques et scientifiques le costume traditionnel des communautés juives rurales de la région de Drâa-Tafilalet. Artiste-peintre devenu photographe afin d’alimenter son oeuvre picturale, Jean Besancenot est très tôt fasciné par les costumes traditionnels, expression d’une culture et d’un mode de vie. Cette passion et son goût du voyage font de lui, presque par hasard, un ethnologue, tout d’abord autodidacte puis formé auprès de Marcel Mauss. Dans le cadre de ses recherches, il explore, à la fin des années 1930, les territoires les plus méridionaux du Maroc, à une époque où ils n’étaient pas encore sensibles à l’influence occidentale. Jean Besancenot laisse en héritage plus de 1800 photographies qui documentent de façon unique le vêtement marocain traditionnel. Négatifs et originaux, légués à l’Etat, sont conservés au musée du quai Branly - Jacques Chirac, à l’Institut du monde arabe et au musée berbère de la fondation Majorelle de Marrakech. Ces trois institutions partenaires soutiennent par leur prêt l’exposition qui se déroule au MahJ jusqu'au 2 mai 2021. Les commissaires Dominique Carré et Hannah Assouline, dont l’histoire familiale est intimement liée à ces photographies, ont également contribué à compléter cet ensemble en ouvrant l’accès à leurs collections personnelles. 










Jean Besancenot (1902-1992) né Jean Girard se destine à la peinture. Il poursuit un cursus classique au sein de l’Ecole des arts décoratifs. Débutant, il s’intéresse déjà aux costumes régionaux en France auxquels il consacre un portfolio. En 1934, à l’occasion d’un voyage d’études au Maroc, protectorat français depuis 1912, Besancenot pose les premiers jalons de ce qui sera son grand sujet d’études.

Il manifeste un vif intérêt pour le vêtement traditionnel marocain. Il se lie avec les populations locales et convainc certains chefs de village de le laisser photographier des habitants en costume de fête. Dans un premier temps, il concentre son attention sur les costumes et parures féminines. Les images sont autant de documents qui alimentent son travail de peintre. Contraste saisissant Entre la richesse des vêtements présentés et la grande pauvreté manifeste des personnes que Besancenot photographie, le contraste est saisissant.











Son intérêt se porte aussi bien vers communautés arabes que berbères et juives. Ces dernières sont composées de groupes d’origines variées. Une partie des Juifs marocains est présente sur ce territoire depuis l’Antiquité tandis que les Séfarades, chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique, s’y sont réfugiés à partir de 1492. Les clichés de Jean Besancenot soulignent les influences culturelles de ces différentes ethnies entre elles. Sans pourtant se mélanger, communautés juives du sud du pays et populations berbères se côtoient au quotidien. Costumes et bijoux de cérémonie mettent en lumière une esthétique commune et de nombreux emprunts.

De retour en France, Jean Besancenot obtient une aide de la part du Ministère des Affaires étrangères afin de financer de prochains séjours au Maroc. De 1935 à 1936, grâce à cette bourse, il visite les contrées les moins accessibles du pays notamment la partie méridionale préservée, là où la colonisation n’a pas encore imposé une forme d’occidentalisation des populations. Avec l’approbation des responsables des différentes communautés, Besancenot photographie hommes et femmes en costumes de fête. Il tente désormais de documenter de façon rigoureuse et scientifique un patrimoine méconnu en voie de disparition.










Sur le terrain, il multiplie photographies et dessins sur le terrain, puis plus tard réalise aquarelles et gouaches à partir des divers clichés. Jean Besancenot prend de nombreuses notes au cours de ces visites. Il recense précisément, lieux, communauté. Il décrit avec minutie les éléments vestimentaires, la façon de les porter, les bijoux qui les complètent. Autant de détails qui soulignent les influences culturelles inter-communautaires et valorisent les traditions liées à chaque région.

Jean Besancenot offre 550 photographies documentées ainsi que des costumes et des bijoux rapportés de ses voyages au Musée de l’Homme, créé en 1937. Fruit de son labeur, compilation de ses dessins rehaussés à la gouache, en 1942 est publié l’ouvrage "Costumes et types du Maroc" qui sera réédité en 1988 et demeure encore de nos jours une référence sur le sujet.











Au cœur de l’exposition déployée au MahJ, un émouvant film intitulé "Comment j'ai retrouvé la photo de mon père" raconte l’histoire de l’une des photographies les plus frappantes de cet ensemble. Prise à Erfoud, elle présente deux très jeunes adolescents en costumes traditionnels de mariage. Le garçon est pieds nus, morose. Il s’agit de Messaoud Assouline, père de la photographe Hannah Assouline. Né en 1922 à Tinghir, confié par sa famille au rabbin Baba Salé, il devient rabbin à son tour. Après l’Algérie, il rejoint la France lors de l’indépendance et exerce son sacerdoce à la synagogue de la rue du Bourg-Tibourg. Il décède en 2007 à Jérusalem.  

En 1984, Hannah Assouline rencontre Jean Besancenot à l’occasion d’un travail de recherche au sujet des communautés juives du Maghreb. Il lui donne accès à ses archives. Par hasard, elle tombe sur l’image de l’adolescent nu-pied de Drâa-Tafilalet, qui est la région d’origine de sa famille. Elle est troublée par la ressemblance entre le garçon de la photo et son neveu. Ses pieds nus et son air maussade l’interpellent. Elle décide de montrer cette image à ses proches. Messaoud Assouline se reconnaît. Il se souvient très bien des circonstances. Appelé à la dernière minute, à la demande de Besancenot, pour remplacer, dans le rôle du marié, l’époux quadragénaire de la fillette, il a oublié dans la précipitation de se chausser. Il boude car il est mortifié d’être ainsi photographié sans souliers.

Juifs du Maroc, 1934-1937. Photographies de Jean Besancenot
Jusqu’au 2 mai 2021

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme 
Hôtel de Saint-Aignan
71 rue du Temple - Paris 3
Horaires : Mardi, jeudi, vendredi de 11h à 18h - Mercredi de 11h à 21h - Samedi et dimanche de 10h à 19h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.