Paul Cézanne (1839-1906), précurseur des avant-gardes, père de la modernité selon Matisse et Picasso, s’est illustré dans l’inconscient collectif comme le grand peintre de la Provence, un solitaire vaguement caractériel fuyant les mondanités. Son ambition affichée ainsi que le nombre de tableaux réalisés en région parisienne tout au long de sa carrière artistique et son attachement aux motifs des paysages d’Ile de France semblent néanmoins profondément nuancer cette conception. L'importance des oeuvres imaginées lors de ses nombreux séjours en Ile de France, révèle les liens profonds noués par l’artiste avec Paris. Sans pourtant jamais s’y établir définitivement, Cézanne entreprend entre 1861 et 1906, une vingtaine d’aller-retour entre Aix-en-Provence et la Capitale. Il passe la moitié de sa vie d’artiste à Paris, là où s’acquiert la reconnaissance. Pour le peintre, la ville est un laboratoire d’expérimentation, un lieu de recherche picturale et thématique. Il y conçoit des « formules » qu’il exploite ensuite pleinement dans le Sud. Il détermine des orientations plastiques. Inspiré par les cadrages de la photographie naissante, Cézanne explore les constructions alternatives, organise l’espace par la couleur. Il s’intéresse peu à Paris elle-même. Contrairement aux impressionnistes, il n’est pas sensible à l’expression architecturale de la modernité incarnée par l’espace urbain en pleine transformation. Durant ses séjours parisiens, il s’attache plutôt à peindre des natures mortes, des nus, des portraits. Seuls cinq tableaux représentent réellement la ville. En revanche, il peint inlassablement les paysages verdoyants de la région parisienne, Pontoise, Auvers-sur-Oise, les bords de Marne, Fontainebleau.
1865 Paysage en Ile de France |
1867-1869 La rue des Saules à Montmartre |
1868 Rocher dans la forêt de Fontainebleau |
1872 La Halle aux Vins vue de la rue de Jussieu |
1872-1874 Quai de Bercy |
1876-1877 Les Toits de Paris |
1881-1882 Les Toits de Paris |
Les relations de Paul Cézanne avec Paris et sa région se révèlent dans la chronologie d’une évolution. L’ensemble de son oeuvre témoigne d’une progression dans la ligne directe de l’esprit classique à la française radicalement corrigé par l’innovation moderne. Processus créatif atypique, compositions rigoureuses, fascination pour le mouvement, impasse sur la narration, nouveau regard et forme réinventée, c’est à Paris que le peintre élabore les motifs constituant de la modernité.
Fils d’un modeste chapelier devenu banquier aisé, Paul Cézanne n’était pas prédestiné à devenir artiste. Sa famille tentera d’étouffer cette vocation tandis qu’Emile Zola, ami d’enfance, rencontré au collège Bourbon d’Aix-en-Provence, la soutiendra. Auprès le baccalauréat, Paul Cézanne s’inscrit à la faculté de droit d’Aix. A 19 ans, en 1858, il suit des cours de dessin à l’école spéciale d’Aix en Provence où il se révèle à tel point qu’il confie dans une lettre à Zola datée de décembre 1859 son désir de se consacrer à la peinture.
1873 Auvers sur Oise |
1873 Etude de Paysage à Auvers |
1873 La maison du Docteur Gachet à Auvers |
1873 La maison du pendu à Auvers |
1873 La maison du Père Lacroix à Auvers |
1873 La route à Auvers |
1873 Maisons à Auvers |
1873 Vue d'Auvers |
1873 Vue d'Auvers |
En 1861, Cézanne, contre la volonté de son père et malgré l’avis défavorable de son professeur de dessin, s’installe à Paris, épicentre d’une effervescence artistique nouvelle. Le jeune ambitieux est bien décidé à conquérir la capitale des arts, où le Salon et l’académie s’inscrivent comme les étapes nécessaires vers la consécration. Première désillusion, il est recalé au concours d'entrée des Beaux-Arts du fait de ses excès coloristes et de son dessin jugé trop faible. Retour à Aix. Cézanne travaille un temps dans la banque paternelle mais ne se décourage pas. L’année suivante, en 1862, il retente sa chance à Paris, soutenu par Zola dont la mère l’héberge.
En 1863, Cézanne est inscrit comme copiste au Louvre où il passe de nombreuses heures. Il puise l’inspiration dans l’étude des maîtres anciens, se confronte à la tradition académique. Ses carnets de dessin mettent en lumière une exploration rigoureuse de Rembrandt, Poussin, de la sculpture antique et baroque, de Michel-Ange et Puget. Il se lance dans une copie d’un tableau de Delacroix, « La Barque de Dante », qu'il est incapable d'achever. En 1864, il se penche sur « Les Bergers d'Arcadie » de Nicolas Poussin avec plus de succès.
1874 L'ermitage à Pontoise |
1875 L'étang des Soeurs à Osny |
1875 Route à Pontoise |
1877 Auvers Vue de loin |
A cette époque, il intègre l’académie de Charles Suisse, quai des Orfèvres où il fait la connaissance de Camille Pissarro, Auguste Renoir, Claude Monet, Alfred Sisley et un autre Aixois, Achille Emperaire. Saine émulation, il prolonge son apprentissage par la fréquentation de ses contemporains qui l’incitent à sortir de l’atelier pour travailler en extérieur. Les relations du peintre à la ville évoluent. La structure des dessins s’affirme. Le travail sur la lumière prend une nouvelle dimension.
Hormis le tableau de jeunesse de la rue des Saules réalisé à Montmartre vers 1867, Paul Cézanne ne peint pas Paris. Il ne s’intéresse pas à la ville elle-même, ni aux sites célèbres, ni aux monuments ou encore à la vie de quartier. Ses vues des toits appartiennent plus au domaine expérimental qu’à celui la représentation.
1879-1880 Le Pont de Maincy |
1880 Château de Medan |
1880 La vallée de l'Oise |
1880 Fonte des Neiges à Fontainebleau |
1880 Paysage d'Ile de France |
1880 Paysage d'Ile de France |
1880 Vallée de l'Oise |
1881 Le moulin sur la Couleuvre à Pontoise |
1881 Pont à Pontoise |
1882 Forêt de Fontainebleau |
1885 Château et village de Medan |
Sous l’influence des milieux parisiens, Paul Cézanne réalise des nus à l’érotisme torride, « Une moderne Olympia », « La Lutte d’amour » qui préfigurent les baigneuses provençales plus apaisées. Il décline le travail de la matière par des portraits célèbres, de son épouse Hortense, de ses amis, de ses collectionneurs comme Victor Chocquet, de ses marchands comme Ambroise Vollard.
Les bords de Marne vers Maison Alfort, Pontoise, la région de Marlotte, Fontainebleau, Paul Cézanne fréquente assidument la campagne parisienne. Il trouve auprès ses lieux de prédilection que sont la rivière et la forêt, la sérénité, le calme et la plénitude qu’il retranscrit sur la toile. Le silence de la nature prend des tons de bleus et de verts qui contrastent avec les teintes mordorées des tableaux provençaux.
1888-1894 Bords de la Marne sur l’île Machefer à Saint-Maur-des-Fossés |
1888-1894 Bords de la Marne sur l’île Machefer à Saint-Maur-des-Fossés |
1888 Bords de Marne |
1888 Allée à Chantilly |
1888 Allée à Chantilly |
1888 Allée à Chantilly |
1888 Pont sur la Marne |
En 1879-1880, Paul Cézanne passe une année à Melun durant laquelle il peint « Le Pont de Maincy » représentatif, oeuvre charnière très représentative de la rupture formelle effective avec l’impressionnisme. Ce tableau marque le début de la période dite « constructiviste » qui se caractérise par une géométrisation des volumes, une évolution du rapport entre formes et couleurs.
De retour de Provence où il a séjourné de 1882 à 1888, Paul Cézanne rejoint à nouveau la région parisienne. Il reprend ses déambulations à travers une campagne qui ne laisse pas transparaître l'urbanisation galopante. La ville semble bien loin. Les toiles illustrent la quiétude d'une solitude heureuse.
1892 -1894 Le Moulin brûlé de Charentonneau |
1892-1894 Le Moulin brûlé de Charentonneau |
1893 Rochers à Fontainebleau |
1898 Ferme à Montgeroult |
1899 La route tournante à Montgeroult |
A partir de 1890, il pousse ses explorations au-delà d’Auvers-sur-Oise jusqu’à Montgeroult. Il rend visite à Claude Monet dans son refuge de Giverny. Son travail attire enfin l’attention des critiques, des marchands et des collectionneurs. Paris conquis, il se retire définitivement en Provence. Post-impressionniste, Cézanne rend le dessin indissociable de la couleur et marque la modernité de son empreinte. Son inlassable prospection dans l’agencement des formes, l’organisation de l’espace et la rigueur de la composition préfigure le cubisme.
Cézanne à Paris
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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