Lundi Librairie : Acide sulfurique - Amélie Nothomb




Acide sulfurique - Amélie NothombA l’occasion d’une nouvelle émission de téléréalité intitulée "Concentration", des personnes sont raflées au hasard dans la rue et envoyées dans des camps. Parqués sous la surveillance de gardiens, les kapos, recrutés pour leur bêtise, leur manque de discernement et d’empathie, les participants sont contraints aux travaux forcés, victimes d’abus physiques et moraux. Tortures, privation de nourriture, leur calvaire est retransmis en direct à la télévision. Chaque jour deux prisonniers sont désignés par les kapos pour être exécutés devant l’œil vigilant de la caméra. La kapo Zdena, une jeune paumée, ignare et laide, développe une forme d’obsession amoureux pour le matricule CZ114. La belle étudiante en paléontologie, prénommée Pannonique, stoïque sous les coups et les insultes, parvient à préserver sa dignité et devient l’héroïne de l’émission. Zdena multiplie les avances maladroites. Elle tente de gagner les bonnes grâces de CZ114 en lui donnant du chocolat en cachette. Pannonique n’accepte ces présents que pour adoucir les conditions de vie de ses co-détenus. Les responsables de l'émission changent les règles du jeu afin de faire décoller l’audimat. Désormais ce sont les téléspectateurs qui désigneront par leur vote ceux qui seront tués.

Quatorzième roman d’Amélie Nothomb, paru en 2005, cette satire terrifiante de la société du spectacle a soulevé une vive polémique lors de sa publication. Pour épingler l’avènement la téléréalité, le processus de déshumanisation qu’elle engendre, la romancière mêle dans un même creuset le principe des jeux du cirque et le souvenir glaçant de la Shoah. Le texte très dérangeant questionne la télégénie de l’horreur, la perversité d’un système. L’autrice imagine un futur proche terrible car aussi familier qu’incongru, un univers de contre-utopie exempte de bienveillance. Elle porte un regard pessimiste sur notre réalité, étirant les pires inclinations jusqu’à l’extrême. Dans cet univers de contre-utopie règnent le mépris de la morale, de la notion de fraternité, l’obsession de l’audimat, la banalisation du mal, la barbarie ordinaire, la suffisance et l’impunité des pouvoirs de l’argent.

Les mauvais instincts des téléspectateurs sont cultivés jusqu’aux extrémités les plus terribles, le voyeurisme malsain organisé à grande échelle jusqu’au dégoût. Amélie Nothomb s’empare d’une thématique aussi ambitieuse que casse-gueule. L’association de la téléréalité et de l’univers concentrationnaire donne vie à une démonstration brutale qui n’échappe pas à une certaine artificialité inquiète. La romancière dénonce l’hypocrisie des médias qui s’insurgent en une mais vendent du papier grâce à ce jeu monstrueux tandis que les audiences explosent. Illustrant la noirceur de l’âme humaine, elle multiplie les provocations dans une escalade d’horreur, véritable spirale de l’excès jusqu’à la caricature parfois. 

Classique motif nothombien, les relations ambiguës entre les deux personnages féminins, deux êtres aux antipodes, expérimentent les jeux de pouvoir dans les relations, le sadisme des rapports humains dans un mouvement d’attirance-répulsion. La soumission première face à la brutalité donne naissance à la révolte. Les liens de solidarité se créent et la rédemption semble, au final, possible. 

Acide sulfurique - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Edition de poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.