Expo : Christian Boltanski - Faire son temps - Centre Pompidou - Jusqu'au 16 mars 2020



Peintre, sculpteur, photographe, cinéaste, plasticien (il a horreur du mot), depuis plus de cinquante ans, Christian Boltanski mène une réflexion sensible sur la mémoire, l’histoire individuelle ancrée dans la grande Histoire, en prise avec le récit commun. Brouillant les frontières entre la vie et l’oeuvre, l’absence et la présence, l’artiste a fait de sa mythologie personnelle la matière féconde d’un travail protéiforme et complexe. La dimension dramatique de ces créations, cependant pas dénuées d’humour, embrasse un univers de signes pour mieux tendre un miroir propre à susciter l’émotion. Obsédé par la fuite du temps, la fragilité de l’existence, Christian Boltanski s’empare de son trouble, de son agitation intérieure pour entreprendre une oeuvre de mémoire pourtant, selon son propre point de vue, vouée à l’échec. Les individus disparaissent avec les souvenirs destinés à s’effacer inexorablement. Peuplé de fantômes, d’ombres familières, le travail de Boltanski traduit ses profondes méditations sur le rôle de l’artiste passeur de mémoire. Le Centre Pompidou lui consacre une exposition événement, « Christian Boltanski - Faire son temps ». Cette rétrospective immersive retrace l’évolution de son travail sur l’ensemble de sa carrière. Chaque salle, tel un fragment de souvenir, représente une étape vers l’irrémédiable oubli, destin universel.












Au Centre Pompidou, Christian Boltanski a souhaité créer une grande installation sur 2000m2 qui se compose d’une sélection éclairante d’œuvres. La mise en scène imaginée par l’artiste lui-même en collaboration avec Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne et la scénographe Jasmin Oezcebi, cherche à abolir la distance entre le visiteur et l’oeuvre. L’architecture des lieux repensée convoque l’idée d’un vaste sanctuaire artistique, sans cartel explicatif.  Un plan est néanmoins fourni à l’entrée de l’exposition.

L’immersion dans cette sorte de labyrinthe qui ne respecte pas la chronologie évoque puissamment l’expérience sensible du destin humain, de la naissance, le départ, vers la mort, l’arrivée, incarnation métaphorique du cycle initiatique de l’existence humaine. Pour Christian Boltanski l’art est comme la vie, un passage. 

Sous une lumière vacillante, la déambulation à travers ce théâtre d’ombres habité par cinquante pièces distinctes s’expérimente comme une série de séquences qui rythment cinquante années de création. Le voyage physique et mental relève de l’expérience immersive vertigineuse. Le travail peu à peu se détache de la matérialité, devient impalpable, jeux d’ombres et de lumière, évanescence spectrale, voiles flottant, projections vidéos… 










Autoportrait d’un artiste, né le 6 septembre 1944, onze jours après la libération de Paris, l’exposition revient aux sources de la matrice créatrice. « L'art commence avec un traumatisme. Chez moi c'était celui de la guerre, de la Shoah, des amis de mes parents que j'entendais raconter leurs expériences. Toute la famille était étrange. Je n'aimais pas fréquenter les autres. J'ai essayé différentes écoles puis mes parents m'ont laissé rester à la maison. Je ne faisais rien d'autre que regarder par la fenêtre jusqu'au moment où mon grand frère m'a encouragé à dessiner. J'ai alors décidé que je deviendrai artiste. »
Dans l’art, Christian Boltanski trouve le salut. Il donne une forme plastique aux inquiétudes, aux douleurs, aux angoisses. La création lui permet d’accepter la disparition du passé, de faire le deuil difficile d’une enfance singulière, surprotégée et chaotique, dans une cellule familiale, traumatisée par la guerre. Les rencontres providentielles dans les années 1960 avec Jean Le Gac et Annette Messager vont lui donner les clés de l’émancipation.

La rétrospective qui se tient au Centre Pompidou permet de mesurer l’ampleur et l’ambition d’une oeuvre, sensible, corrosive. Christian Boltanski scrute avec lucidité notre époque. Dans son univers ténébreux, les illusions et les désenchantements se perpétuent dans le silence du recueillement. L’artiste connaît si bien les vertus de l’attente, de l’ennui propices aux évasions vers les mondes oniriques où naissent l’art. 











Le parcours au fil de l’intuition résonne de sons étranges, bruits douloureux, violents du film « L’homme qui tousse » (1969), battements de cœur, des « Archives du cœur » (2008), un catalogue sonore de battements cardiaques enregistrés à travers le monde, les murmures des voix éteintes, le chant des baleines reproduit par des trompes dans lesquelles souffle le vent de l’installation « Misterios » (2017) en Patagonie, en bord de mer. Par la mise en scène de ces œuvres monumentales, Christian Boltanski traduit son désir de créer de nouveaux mythes. Comme "Le Terril Grand-Hornu" (2015), où l’amoncellement de vêtements évoque l’absence. 

Les images flottantes font appel aux sens, à la mémoire. Vitrines emblématiques, albums de famille, reliquaires, monuments aux morts en boîtes à biscuits, urnes funéraires empilées sont autant d’autels mémoriels. Par son goût des archives et des inventaires, Christian Boltanski soutient la nécessité du souvenir en prolongeant les traces de l’existence passée. Les photographies en noir et blanc de l’artiste, sa famille, des anonymes donnent un visage à cette humanité. « Ceux qui m’intéressent sont toujours des inconnus, des anonymes. Je pense que chacun de nous est totalement unique et extrêmement important et que tous les humains sont prodigieux, donc tous les humains méritent mon attention. »













Réflexion sur les rites et codes sociaux, accumulation de reliques d’humanité, tragiques ou ludiques, livres, archives, documents fictifs ou réels, ce parcours poétique donne à penser l’expérience universelle de la vie et de la mort. L’existence comme une maison fantôme de fête foraine, comme une course de fond hantée par les morts. « La vie, c’est le petit tiret entre deux dates ». 

L’exposition prend fin sur une note apaisée avec les « Animitas » (2014 et 2017), petites âmes en espagnol, deux vidéos tournées l’une dans le désert d’Atacama, sur les hauts plateaux du Chili, et l’autre au Canada au nord de Québec. Des centaines de clochettes japonaises accrochées à la végétation se balancent dans le vent en lançant un son cristallin apaisant après l’ascenseur émotionnel d’un parcours puissant.

Christian Boltanski - Faire son temps
Jusqu’au 16 mars 2020

Centre Pompidou 
Place Georges Pompidou - Paris 4
Horaires : Tous les jours sauf le mardi - De 11h à 21h - Nocturne jusqu'à 23h tous les jeudis



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.