Paris : Les Olympiades, ultra-moderne solitude des architectures urbaines - XIIIème



La dalle des Olympiades, quartier d'environ 11 000 habitants, est le fruit d'un montage originel audacieux. Cette opération immobilière menée de 1969 à 1977 s'inscrit dans le contexte plus large du projet Italie 13 qui visait alors à transformer en profondeur certains quartiers du XIIIème arrondissement autour de l'avenue d'Italie. Plus vaste entreprise d'urbanisme depuis les grands travaux d'Haussmann dont les composantes urbaines, politiques et sociales auront marqué les esprits, ce projet a mis sur le devant de la scène parisienne la question de l'architecture verticale sur dalle pour replacer le tissu urbain historique. Erigée sur l'emplacement de l'ancienne gare de marchandises des Gobelins, l'ensemble Olympiades s'est fait l'écho des théories urbanistiques appliquées à la rénovation urbaine du secteur Italie soutenues par leur architecte Michel Holley. Répondant au principe d'urbanisme sur dalle avec différents niveaux de sols artificiels, la réalisation de cet ensemble, voué à la verticalité dans l'espoir d'accéder à plus de luminosité, a fait totalement disparaître totalement le parcellaire d'origine. Dans un souci de réflexion et d'engagement pour la construction d'un Paris moderne, Michel Holley a souhaité libérer selon les idées de la Charte d'Athènes formulée par Le Corbusier l'espace horizontal tout en faisant disparaître les rues telles qu'elles sont connues en Europe. De la théorie à la pratique, de nombreux dysfonctionnements sont apparus depuis quarante ans. Cernée par la rue de Tolbiac au Nord, rue Nationale à l'Est, rue Regnault au Sud, avenue d'Ivry et rue Baudricourt à l'Ouest, la dalle des Olympiades resserre les liens aujourd'hui avec le nouveau quartier universitaire Paris Rive Gauche. Malgré l'ouverture de ce labyrinthe enclavé, les habitants restent inquiets de la montée de l'insécurité et des dérives diverses qui peinent à être endiguées.








Opération d'urbanisme majeure engagée à Paris dans les années 1960 et interrompue dans la deuxième moitié des années 1970, Italie 13 a marqué son époque et durablement le visage de la ville. Dans les années 1950, la désindustrialisation de Paris laisse de grands ensembles vides tandis que la crise du logement s'annonce tragique. Dans le XIIIème arrondissement, le diagnostic des experts suggère une politique de la table rase. Le répertoire mené par Raymond Lopez, architecte conseil pour la Ville de Paris assisté de Michel Holley, fait le constat d'îlots jugés insalubres ou mal construits.

Le Plan d'urbanisme directeur, (PUD) rédigé en 1959, à la suite du rapport Lafay de 1954, appliqué dès 1961 prévoit que "La trame urbaine n'est plus définie par les rues, mais par l'ordonnance des constructions, elles-mêmes guidées par des considérations fonctionnelles." Avec l'avènement de la Vème République, le soutien pouvoir, l'opération Italie 13 est approuvée par le Conseil de Paris le 13 janvier 1966. Les 87 hectares situés entre place d'Italie, avenue de Choisy, rues de Tolbiac, Nationale, boulevard des Maréchaux, une partie des quartiers de Maison Blanche et de la Butte au Cailles seront entièrement transformés pour faire place à 16 400 logements, 150 000 m2 de surfaces commerciales et de bureaux, des écoles, des crèches et des petits jardins.

Michel Holley est appelé pour superviser l'aménagement parisien. L'Atelier de rénovation urbain Italie 13, mené par Albert Ascher et Michel Holley, soutient l'idée d'un urbanisme vertical, "urbanisme de haute densité", symbole d'une modernité contemporaine, fruit d'un demi-siècle de pensée architecturale, de controverses, de débats et d'engagement citoyen. L'Atelier prévoit  de ne conserver que les bâtiments de moins de 100 ans, d'au moins 7 étages, dotés d'un certain confort. Le tissu urbain sera réorganisé dans l'esprit de la Charte d'Athènes de Le Corbusier. Les constructions prennent de la hauteur pour libérer espaces au sol et améliorer la luminosité. Les fonctions sont séparées. Les voies destinées au trafic automobile distinctes de celles desserte locale, favorisent la circulation des piétons tout en les préservant des désagréments (bruit, pollution) des voitures. Les tours bâties autour de placettes, elles-mêmes entourées de parcs et de jardins, espaces verts qui seront souvent abandonnés dans le projet final, suivent le modèle américain. Les notions d'espace partagé et espace protégé émergent.









De 1964-1969, l'ensemble évolue sous l'impulsion de Michel Holley. Les tours en série une trentaine d'étages conservent une forme d'uniformité de gabarit. Le plan de 1969, envisage des bâtiments de 100 mètres de hauteur tandis que jusque-là les constructions ne dépassaient pas les 7 étages. Ce projet architectural futuriste comporte 55 tours prévues, dont une trentaine sortira de terre de 1969 à 1977. La tour Le Périscope 1965-69 Maurice Novarina, l'îlot Galaxie composé de quatre tours de logements privés, les tours Antoine et Cléopâtre, Super Italie et Chambord qui resteront isolées à l'arrêt du projet. Les 13 tours de l'ensemble Masséna sont élevées sur les terrains de l'ancienne usine Panhard et Levassor dont l'unique bâtiment sauvegardé abrite aujourd'hui le siège social de Gares et Connexions (SNCF) et agence d'architecture AREP. La tour de bureaux Apogée voit son permis annulé.

Volet important du projet Italie 13, la dalle des Olympiades est constituée de treize bâtiments de 3 à 34 étages dont 10 à usage d'habitation et 3 de bureaux. Construite sur l'ancienne gare de marchandises des Gobelins, raccordée depuis 1903 à la petite ceinture ferroviaire à Paris, elle a été l'objet de transactions serrées pour la création d'une nouvelle gare enterrée sur deux niveaux. Seul le niveau supérieur de la gare est desservi par le rail, celui inférieur faisant office d'entrepôt. La SNCF a cédé ses droits à construire en sursol et en périphérie à l'Office public HLM de Paris et à la Société nationale de construction (SNC). Cette dernière rachetée par la banque Rothschild, revend l'ensemble des droits à construire correspondant au volet privé de l'opération à la SAGO (société d'aménagement de l'îlot Gobelins Nord) entité juridique dédiée à l'opération et contrôlée par la banque. 










Les tours sont organisées en bouquet autour d'une plaza devient alors lieu de circulation et de sociabilité. Les immeubles d'habitation réalisés en béton sont percés de fenêtres articulées en damier représentant 10% de la surface afin de garantir intimité et sécurité, béton personnalisé avec un grain spécifique pour chaque bâtiment. Pour les tours en accession à la propriété, le modèle de base à l'intérieur des constructions de série se différencie également. Par manque de moyen, les HLM sont réduits à des barres. Les immeubles de bureau construits en verre à l'américaine misent sur un éclairage maximal. Le projet pharaonique est présenté au Grand Palais et exposé dans les salons de l'Hôtel de Ville, commercialisé dans les quotidiens L'Equipe et France Soir. Il prévoit à l'origine un vaste complexe omnisports, le Stadium, qui sera l'un des arguments marketing majeur lors de la vente des logements privés. Jamais construit, il a fait place à un maigre gymnase entre les tours Helsinki et Cortina.

Les premiers terrassements de l'opération Olympiades débutent en 1970 avec les tours Sapporo et Olympie livrées en 1972 suivies par Athènes, Helsinki et Londres en 1974. Les tours portent toute le nom d'une villes hôte des JO d'été et d'hiver. Les Olympiades sont constituées de six tours de logements privés Sapporo, Mexico, Athènes, Helsinki, Cortina et Tokyo, deux tours de logement ILN, Londres et Anvers, trois immeubles HLM en forme de barre de 15 et 18 étages Rome, Grenoble, Square Valley, et d'un ensemble de bureaux réparti sur la tour Olympie et deux immeubles Montréal et CAPEB. Les travaux durent 7 ans. 3400 logements voient le jour. Sur la dalle, la galerie Mercure ouvre ses premières boutiques, tandis que le centre commercial Oslo se développe sous dalle. 

Cédée par la SNCF à RFF en 2005, la gare dont l'activité ferroviaire a cessé en 1992, a été reconvertie en plateforme logistique de commerce. Aux deux niveaux de sous-sol de la gare se superpose un niveau de voirie souterraine incluant les rues du Disque et du Javelot qui ne sont normalement pas accessibles aux piétons.








L'originalité des Olympiades, "village dans la ville" selon leur créateur, réside dans l'insertion de ce micro-quartier dans le grand ensemble du quartier chinois du triangle de Choisy. La diversité de l'offre résidentielle du projet promettait une forme de mixité sociale. Appartements en accession libre ou aidée, appartements en location privée, logements sociaux de type HLM et ILN, étaient moteur d'attractivité. Il semble qu'il y ait eu dérive entre conception et exécution du projet. Le Front de Seine qui s'annonçait balcon sur le fleuve devra attendre la mise en place de la ZAC Paris Rive Gauche. La dalle piétonne envisagée comme une promenade plantée est devenue une sorte d'îlot isolé difficilement intégral dans la vie du quartier et donnant à l'ensemble un aspect de forteresse.

Espace de droit privé, voie privée ouverte à la circulation publique, la dalle des Olympiades inadaptée aux normes de sécurité et d'accessibilité modernes est victime de disfonctionnements majeurs qui nuisent à l'usages des riverains. Le secteur déqualifié du Stadium, les espaces délaissés, le cheminement piéton complexe peu lisible, la rupture avec le tissu environnant, l'inachèvement de la dalle au Sud empêchent ce "porte-avion urbain" de fonctionner dans les faits.




Depuis 2002, le GPRU, grand projet de renouvellement urbain de la couronne de Paris a permis d'envisager la rénovation des équipements, la remise en état des espaces ouverts au public, l'amélioration de la qualité résidentielle en intervenant notamment sur l'habitat. La création d'une station de métro sur la ligne 14, le passage de la ligne de tramway T3 et l'ouverture vers la ZAC Paris Rive Gauche suggère un nouveau positionnement urbain de la dalle des Olympiades. Les 2 500 étudiants formés au numérique de la Web School Factory, la proximité de l'incubateur de start-up de Xavier Niel renforcent le sentiment de dynamisme. 

Néanmoins, récemment les riverains se sont plaint de dérives importantes avec le développement de la prostitution, l'installation de tripots à ciel ouvert, la résurgence de la vente à la sauvette, une montée du trafic de drogue et le squat des parkings. Autant d'éléments inquiétants que je n'ai cependant pas eu l'occasion de constater lors de mes dernières visites. Malgré ses plus de quarante ans, il semblerait que la dalle des Olympiades n'ait pas encore trouvé son équilibre alors que s'annoncent de nouveaux projets d'équipements publics, services de proximité et espaces verts.

La dalle des Olympiades - Paris 13
Accès rue de Tolbiac, rue d'Ivry, rue Nationale

Sites référents / Bibliographie



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.