Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, les amants du Flore, sont liés par un contrat moral. Attachés l'un à l'autre dans la fidélité des esprits, ils se laissent la liberté des corps, libres de vivre d'autres amours qu'ils nomment contingentes. Sans tabou, ni dissimulation, ils se racontent tout de cette non-exclusivité. Simone entretient une relation avec Jacques-Laurent Bost, dit le Petit Bost, ancien élève de Sartre, l'un des fondateurs de la revue Les Temps modernes, son amant par intermittence, son ami toujours. Aux Etats-Unis, elle vit avec l'écrivain américain Nelson Algren une passion charnelle marquante.
L'abondante correspondance échangée entre Simone de Beauvoir et ses amis de coeur révèle sous la figure de l'intellectuelle engagée, l'intimité de la femme amoureuse, sincère, passionnée, fragile aussi. La démarche est ambitieuse, le pari relevé. En reprenant les lettres de 1939 aux années 1950 qui marquent la rupture avec Aldren, la pièce redonne son humanité à la statue sacralisée. Liberté de ton et des idées, ces échanges parlent de l'époque, de l'évolution de la société. Les amants du Flore assument publiquement un style de vie que l'hypocrisie morale, la bien-pensance tenait caché, incarnant en avance la libération sexuelle à venir.
Intimistes, drôles, sensuelles, ses missives ardentes qui disent le désir, le manque, les joies et la douleur, sont autant de confidences de la femme amoureuse. Elles explorent les liens immuables et la gratitude envers Sartre, le brillant compagnon de toute une vie, son amour-amitié avec Bost et la passion dévorante qui la lie à Nelson Algren. L'amant malheureux ne comprendra pas que Simone choisisse Jean-Paul et ne lui pardonnera jamais pas d'avoir relaté leur relation dans son roman Les Mandarins.
La mise en scène dépouillée, minimaliste voulue par Anne-Marie Philippe fait la part belle au jeu des comédiens. Pour représenter Simone de Beauvoir, dans un jeu de miroir séduisant, les trois interprètes féminines personnifient chacune une facette de la femme amoureuse. Autorité de l'intellectuelle, érudition engagée, Anne-Marie Philippe, très convaincante est à la fois la narratrice et la Simone attachée à Sartre qui est parfois traversée par les doutes. Camille Lockart, tout en finesse, et Aurélie Noblesse, beaucoup de sensibilité, jouent les aspects séducteurs plus mutins de Simone de Beauvoir. Face à ce triumvirat éclatant, Alexandre Laval qui est tour à tour Sartre, Bost et Alden, possède un charme juvénile décalé, une belle délicatesse.
Dans Pour l'amour de Simone, l'auteur du Deuxième sexe, la militante féministe, s'incarne en femme de chair et de sang qui aime l'amour, le plaisir et trouve dans cette quête un moteur. Tour à tour romantique, passionnée, blessée, sentimentale, mélancolique, elle écrit pour transcrire sa tendresse, sa douleur mais aussi ses interrogations sur cette émancipation des corps. Dépassant l'idée de reconstitution exacte, la pièce se fait vibrant hommage à la portée universelle. Un beau moment de théâtre.
Pour l'amour de Simone d'après la correspondance de Simone de Beauvoir
Mise en scène Anne-Marie Philippe
Avec Anne-Marie Philipe, Camille Lockart, Aurélie Noblesse, Alexandre Laval
Du 29 août au 15 octobre 2017, du mardi au samedi à 18 h 30, le dimanche à 15 h
Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs - Paris 6
Réservations : 01 45 44 57 34
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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