Cinéma : Le Redoutable, de Michel Hazanavicius - Avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo



En 1967, Jean-Luc Godard termine le tournage de La Chinoise dont Anne Wiazemsky, jeune actrice de dix-huit ans, petite-fille de François Mauriac, incarne le personnage principal. Le cinéaste star de sa génération épouse en cachette cette nymphette de seize ans sa cadette et encore mineure. Les jeunes mariés sont heureux et amoureux mais le film, incompris à sa sortie, est un échec critique et public. Dans un contexte de déferlante politique, Jean-Luc Godard remet en question tout son art. Durant cette phase de réinvention, il s'éloigne de ses amis, ses proches, néglige sa jeune épouse, se cherche en artiste hors système, s'enferme dans ses postures révolutionnaires. En mai 68, il intervient lors de l'annulation du festival de Cannes tandis que les manifestations contestataires font rage entre combats de rue et déroutes. Expériences de cinéma autogéré, projets collectifs à travers les films militants du groupe Dziga Vertov, Jean-Luc Godard vit un moment charnière de sa carrière et de sa vie d'homme.






Adaptation des deux livres de souvenirs, Une année studieuse et Un an après, écrits par Anne Wiazemsky qui a partagé la vie de Jean-Luc Godard de 1966 à 1970, Le Redoutable, du nom du premier sous-marin nucléaire français lancé en 1967, explore une histoire intime, de la passion au désamour sur fond de radicalisation politique de l'un des inventeurs du cinéma moderne. S'emparant du personnage, Michel Hazanavicius désacralise l'icône pour lui donner une dimension romanesque qui n'est pas exempte de dérision. Entre décalage nostalgique et détournement fantaisiste, le réalisateur laisse transparaître toute la tendresse qu'il éprouve pour la figure du grand homme obséder par l'idée de réinvention de soi au point d'en oublier de vivre.

Portrait de l'artiste en quête d'une liberté artistique absolue, pastiche de l'intellectuel engagé jusqu'à la caricature de lui-même, cette comédie inattendue, intelligente et acide souligne les paradoxes d'un cinéaste confronté à la mutation de son époque qui le mène à une crise artistique. Sous l'œil de Michel Hazanavicius, Jean-Luc Godard apparaît comme un intello perdu, misanthrope excessif dans ses préciosités et pourtant sincère dans son activisme politique, amoureux maladroit qui délaisse la femme qu'il aime, mari négligeant et jaloux maladif jusqu'au sexisme ordinaire. Le réalisateur croque avec une féroce justesse le portrait de l'intellectuel médiatique empêtré dans ses déclarations, son ego, ses convictions. S'il se moque des travers du personnage, il n'en admire pas moins le talent de l'artiste.






Objet pop, palette chromatique idoine, Le Redoutable est le résultat d'un projet esthétique abouti, entre reconstitution rigoureuse d'une époque et nombreuses références au travail de Jean-Luc Godard. Détournant les codes du cinéma du maître, Hazanavicius joue sur les citations avec bonheur. Découpage en chapitres dont les titres renvoient à des slogans situationnistes, montage éclaté, sous-titres décalés notamment dans une scène de ménage mémorable où résonne un extrait des Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes.




De la caricature mimétique à l'incarnation la plus subtile, Louis Garrel campe un personnage horripilant, génial, extravagant, égoïste, à la fois mordant et touchant, sérieux et drôle. Cheveux rare, zozotement, non-conformisme, l'interprétation est savoureuse. Stacy Martin en admiratrice déconcertée tire joliment son épingle du jeu dans un rôle un peu en retrait de jeune femme dépassée par son monstre sacré de mari. 

Michel Hazanavicius parvient à faire de Jean-Luc Godard un héros populaire accessible, perpétuellement sur la ligne de flottaison entre tragédie et comédie à l'humour grinçant. Enthousiasmant !

Le Redoutable de Michel Hazanavicius
Avec Louis Garrel, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois, Stacy Martin, Micha Lescot
Sortie le 13 septembre 2017



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.