Cinéma : Noma au Japon, (Ré)inventer le meilleur restaurant du monde - Un documentaire de Maurice Dekkers



Ouvert en 2004 à Copenhague, Noma - contraction de Nordisk Mad, nourriture nordique en danois - a été consacré meilleur restaurant du monde en 2010, 2011, 2012, 2014 et 2015 par le magazine britannique Restaurant. Son chef, René Redzepi, véritable rock star de la gastronomie, a accepté en 2015 de relever un défi lancé par Mandarin Oriental : celui d'ouvrir un restaurant éphémère au trente-quatrième étage de l'hôtel tokyoïte du groupe. Challenge professionnel et créatif, Redzepi et sa brigade ont six semaines pour imaginer un menu en quatorze plats respectant les principes quasi philosophiques du restaurant originel. Adapter le concept Noma à la gastronomie locale se révélera, sous la houlette d'un chef aussi despotique que passionné, une quête d'innovation plutôt que de transposition.






Concepteur d'une émission culinaire à succès pour la télévision néerlandaise, le réalisateur Maurice Dekkers livre à travers ce documentaire dépouillé de toute ambition esthétique, voire plastiquement ingrat, une histoire de passion et de dévotion. Caméras dans les cuisines, au plus près des hommes de la brigade, Noma au Japon nous plonge au cœur de l'action dans un huis clos sous pression. 

Si le suspense créé artificiellement afin de répondre à une forme dramatique classique ne parvient pas à prendre tout à fait - un éventuel retard semblant plus qu'improbable - la tension est réelle tant l'exigence du chef à la fois gourou et démiurge est absolue. Le projet expérimental ne fait cependant pas oublier l'opération commerciale orchestrée de main de maître par une multinationale de l'hôtellerie de luxe. 3 000 couverts, 58 000 demandes de réservation, cette résidence de deux mois est avant tout un formidable coup de pub pour le groupe Mandarin Oriental. 






Alors que les bras droits du chef René Redzepi, Lars William, Thomas Frebel, Rosio Sanchez, sont envoyés sur place en avance, le grand manitou n'arrive au Japon que deux semaines avant le coup de feu. Le réalisateur suit la brigade sur les traces de saveurs authentiques aux quatre coins du pays, de promenades en forêt où seul le guide japonais les empêchera de goûter les plantes les plus toxiques, aux exploitations des petits producteurs et autres marchés locaux loin des foules touristiques. Traquant l'essence de l'art culinaire nippon, discipline de bataillon, moral de sportifs, la jeune équipe galvanisée, entièrement dévouée, travaille vingt heures par jour dans des cuisines en sous-sol pour relever le défi collectif. 




Maurice Dekkers emprunte volontiers quelques dispositifs à la télé-réalité culinaire pour tisser la théâtralité d'un fil narratif mince et dramatiser le propos. Son documentaire s'attache à explorer le processus de création, de l'idée à la réalisation concrète, comme une performance créative, artistique tout aussi physique que mentale. Portrait en creux de René Redzepi, qui arrive finalement assez tard dans le processus, Noma au Japon illustre à la fois l'admiration éperdue du réalisateur pour ce chef unique, qui tient autant de l'alchimiste que du savant fou, et toutes les ambivalences d'un despote dont la parole, l'autorité ne sont jamais remises en question. Un film fascinant susceptible de dépasser largement le cadre des experts gastronomes.

Noma au Japon, (Ré)inventer le meilleur restaurant du monde
Documentaire de Maurice Dekkers
Sortie le 26 avril 2017



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.